Epilogue

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Sophia entendit sa mère entrer dans le petit salon. Dans dix secondes elle allait remarquer le journal qu'elle avait ostensiblement posé sur la table. Dans moins d'une minute, elle allait pousser des cris d'orfraie. Elle reposa son livre, croisa les jambes et attendit patiemment l'impact imminent.

- Qu'est-ce que c'est que... Sophia ! Appelle Matthew.

- Bonjour, mère. Comment allez-vous ? Avez-vous bien dormi ? Vous me pardonnerez, je ne vous ai pas attendu pour prendre le petit-déjeuner.

- Comment je vais ?

Victoria regardait le journal avec un mélange de dégoût et de mépris.

- As-tu pris connaissance de ce torchon ? À l'évidence non, sinon tu ne me poserais pas une question aussi idiote. Détruire la réputation de ce pauvre Alex ne lui a apparemment pas suffi mais cette fois, elle est allée trop loin ! Je ne la laisserais pas ternir celle de notre famille. Patrick... un homme violent... Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! C'est encore un coup de cette femme. Même à l'autre bout du pays, il faut qu'elle me pourrisse l'existence. Dis quelque chose à la fin !

- Je n'en vois pas l'intérêt, vous parlez assez pour deux.

Victoria étrécit les yeux avant de lâcher le journal comme s'il lui brûlait les doigts.

- Tu étais au courant ? Je suis sûre qu'elle te l'a dit. Elle n'aura pas pu s'empêcher de s'en vanter.

- Que votre fils adoré était un sociopathe fétichiste de l'étranglement ? Oui, mère. Je suis au courant. Parce que c'est la vérité.

- Tu es décidément irrécupérable. Tant pis, je me débrouillerais sans toi. Comme d'habitude.


Victoria tourna les talons et quitta la pièce, marmonnant des imprécations dans sa barbe. Sophia se leva pour ramasser le journal. Il n'y avait pas à dire, Aurore avait du style. Beaucoup de style. Son précédent article sur l'arrestation d'Alexander Miles pour le meurtre de Rose Fillmore, une adolescente portée disparue en 2008, dont elle avait couvert toute l'affaire depuis la réouverture de l'enquête jusqu'à ses aveux, l'avait propulsée sous les feux des projecteurs. Elle était devenue l'étoile montante du journalisme, celle qui n'hésitait pas à s'attaquer aux nantis au nom de la vérité. Néanmoins, avec un titre aussi racoleur que « Le démon au visage d'ange », le record de vente de celui-ci allait exploser.

Sophia se permit un peu d'autocongratulation. Présenter Aurore à Olivia avait été l'une de ses meilleures idées. Passé le moment initial de gêne induit par le tristement célèbre témoignage d'Emily Davidson relayé par Aurore, dont tout le monde semblait avoir oublié l'existence aujourd'hui, les deux femmes s'étaient plutôt bien entendues. Maintenant que la journaliste avait fait ses preuves, Sophia la considérait comme un membre honoraire de famille, à défaut de l'être de sang.


Elle parcourut de nouveau l'article, s'attardant sur le dernier paragraphe. « Avec ces toutes dernières révélations, nul doute que l'opinion publique regardera d'un autre œil Emily Davidson qui, il n'est pas inutile de le rappeler, clame haut et fort son innocence. Il se pourrait même que certaines personnes la considèrent non pas comme une psychotique, jalouse, mythomane vouant une haine sans nom à la femme qui lui avait ravi le cœur de l'homme dont elle était éperdument amoureuse, mais comme une messagère agissant pour le compte d'une autorité qui nous est et nous sera toujours supérieure, afin de nous rappeler que nul n'est au-dessus des lois. Dans la mythologie grecque, cette divine messagère, chargée d'abattre le glaive de la justice et de la vengeance sur ceux qui profitent indécemment de la vie, les égocentriques, les manipulateurs a pour nom Nemesis. Son message ? La mort.

Sophia n'aurait pas rêvé meilleure conclusion pour cette histoire.

NEMESISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant