Becky-5

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Becky reposa son crayon, renversa la tête en arrière et fit craquer sa nuque. Elle venait de passer les quatre dernières heures à dessiner avec ferveur, en mode pilote automatique, ce qui ne lui était pas arrivée depuis l'université, avant que ses nuits ne soient hantées par des roses sanglantes avec des poignards à la place des épines. Avant chaque nouvelle œuvre, Becky avait l'habitude de dessiner tout ce qui lui passait par la tête, à la manière d'un écrivain prenant des notes pour son futur roman. Elle sélectionnait ensuite les éléments qu'elle souhaitait y faire figurer, en fonction de son humeur. Dans ses meilleurs jours, Becky pouvait compléter un carnet entier avec ses gribouillis sans queue ni tête. Aujourd'hui était un très bon jour.

Becky feuilleta les pages une par une. Pour l'instant, elle n'avait pas trouvé le sujet de son prochain tableau. Elle avait seulement promis à Zoé qu'il serait grandiose. La bonne humeur de Becky se ternit en repensant à son amie. Zoé l'avait appelée la veille et, comme c'était à prévoir, le meurtre de Patrick était revenu sur le tapis. Zoé avait manifesté son inquiétude à l'idée que la réputation de Becky puisse être entachée à cause de cette affaire.

- À ta place, je ne me ferais pas de soucis, Le crime a toujours fait vendre.

- Ce n'est pas drôle Becky !

- C'est bon Zoé, je plaisante. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu m'as l'air un peu à cran.

Et Zoé lui avait tout balancé. L'appel de l'adjointe Monroe, les questions au sujet de son passé et de sa relation avec Patrick. Becky avait fait de son mieux pour rassurer Zoé – Ce sont des questions de routine... J'étais à la soirée, tu comprends ? – mais elle n'était pas certaine que son amie l'ait crue. Pire, Zoé n'avait pas semblé très enthousiaste d'apprendre que Becky avait commencé à travailler sur sa prochaine toile.

- C'est un peu tôt, tu ne crois pas ? Tu étais censée faire une pause.

- Une pause ? Tu m'as littéralement arrachée la promesse de peindre un nouveau tableau en plus d'aller à l'exposition en échange. Bon, ce ne sont que des gribouillis, à peine de quoi faire une ébauche mais...

- Ce ne serait pas judicieux de revenir, surtout en ce moment. La conjoncture actuelle n'est pas idéale pour un come-back.

Becky n'en avait pas cru ses oreilles.

- À quoi tu joue exactement ? C'est quoi ton problème ?

- Becky, tu es impliquée dans une affaire de meurtre. Je ne sais pas si tu as lu la presse dernièrement mais tu fais la une.

- J'ai seulement eu le malheur de me trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Tout comme une cinquantaine de personnes. Je pensais que tu serais ravie de savoir que j'avais fait un effort pour me sociabiliser.

Sa plaisanterie était tombée à plat. Zoé lui avait conseillé de faire profil bas pendant quelque temps puis elle avait raccroché sans même la saluer. Becky en était restée sur le cul. Sa meilleure amie, qui l'avait soutenue contre vents et marées pendant toutes ces années, la lâchait subitement à cause d'un simple appel de la part de la police ? C'était à peine croyable.


Il y avait forcément anguille sous roche.

- Becky ? Tu es occupée ?

- Pas du tout.

Sophia passa la tête par l'encadrement de la porte.

- Je ne sais pas quelles sont tes habitudes alimentaires mais si tu le désires, le petit-déjeuner est servi.

- On est déjà le matin ?

- Sept heures et treize minutes précisément, répondit Sophia. Ses yeux dérivèrent vers le meuble en acajou près de la fenêtre. C'est étrange, j'aurais juré qu'il y avait une pendulette en bronze, ici.

Becky, qui détestait travaillait sous pression, avait coutume, avant de s'emparer de son crayon ou de son pinceau, de se débarrasser de tout objet susceptible de lui rappeler l'écoulement du temps. Elle bannissait de son atelier montre, horloge, pendule pour ne pas se laisser déconcentrer par leur cliquetis insupportable.

Quand Sophia était venue lui rendre visite à son hôtel afin de l'inviter à passer le réveillon de fin d'année avec ses amis, Becky – qui ne sortait que dans le but de trouver des sujets d'inspiration – avait machinalement emporté son fourre-tout contenant son matériel de dessin au lieu de son sac-à-main.

- Il est sous l'oreiller. Une vieille habitude que j'ai prise. Désolée.


Becky n'avait pas revu Sophia depuis le jour où elle était montée lui présenter ses condoléances. Elle n'était pas prête d'oublier le choc qu'elle avait reçu en découvrant les gros titres de la presse. « Patrick Murphy assassiné à deux pas de sa famille ». « Assassinat du maire de New Hope ». « La famille Murphy à nouveau en deuil ». Becky en avait eu des sueurs froides. Son premier réflexe avait été de sauter dans le premier avion en direction d'un pays qui ne pratiquait pas l'extradition. Le temps que les flics découvrent la vérité, elle aurait été hors d'atteinte. Après s'être astreinte à ne pas céder à la panique, Becky avait passé plusieurs heures à peser le pour et le contre. La police de New Hope était plus habituée à s'occuper des conflits de voisinage qu'à résoudre des meurtres. Elle se contenterait de l'évidence. Le mobile, les alibis de chacun, les empreintes, l'ADN et c'est tout. Elle n'avait aucune raison de creuser et de remuer des secrets profondément enfouis sous terre. En revanche, si elle prenait la fuite, là elle donnait une raison aux flics de s'intéresser à elle.

Becky était donc restée. Elle avait servi son petit mensonge et avait attendu que l'orage passe. Seulement, elle n'avait pas prévu que le shérif Miller serait d'une autre trempe que son prédécesseur. Comment s'appelait-il déjà ? Foutue mémoire. Elle se souviendrait jusqu'à sa mort du nom de l'enfoiré qui avait essayé de la violer mais pas du flic qui l'avait arrêté. Un flic qu'elle connaissait pourtant très bien.

- Je suis contente que tu aies accepté de dormir à la maison, fit Sophia en reposant la pendulette à sa place. Je voulais t'inviter depuis plusieurs jours mais étant donné les circonstances, je n'en n'ai pas trouvé le temps.

D'un tacite commun accord, personne n'avait évoqué la mort de Patrick lors de la soirée du réveillon. Sophia et Becky s'étaient rendues au Bright's, où elles avaient rejoint les deux meilleurs amis de la jeune femme, Lindsey Miller et Timothy Bright. Ils formaient un drôle de trio. Lindsey était une vraie beauté, le portrait craché de sa mère, mais fort heureusement avec un peu plus de conversation. Timothy était aussi exubérant et bavard que Lindsey était introvertie et réservée. Il avait monopolisé quasiment toute la discussion, jetant Becky sous un feu roulant de questions sur des sujets aussi variés que l'art, la mode, New-York ou les films d'espionnage. Entre les deux, il y avait Sophia. Sophia et son sourire de Mona Lisa. Sophia et ses secrets. Sophia qu'elle s'efforçait de protéger coûte que coûte.


Becky était restée à New Hope pour une bonne raison. Elle avait menti aux flics pour une bonne raison. Elle s'était violemment disputée avec Patrick pour une bonne raison. Et cette raison s'appelait Sophia Murphy.

NEMESISWhere stories live. Discover now