NEMESIS

Kenneth-1

Il n'avait jamais été facile pour Kenneth d'être à la fois père et flic, un constat qui ne s'était pas amélioré après son divorce. Du jour au lendemain, il s'était retrouvé père célibataire d'une préadolescente, qu'il n'avait quasiment pas vu grandir à cause de son travail. Pour apporter à Lindsey la stabilité dont elle avait cruellement manqué, Kenneth avait troqué son grade d'inspecteur à la LAPD pour celui de shérif à New Hope. Un travail beaucoup moins stressant qui lui permettait de rentrer chez lui à des heures décentes. Malheureusement, au lieu de se rapprocher de Lindsey, il s'en était éloigné. Tout ça parce qu'il n'avait pas été fichu de laisser le flic hors de leur maison. Kenneth avait cru agir pour le bien de sa fille en lui imposant un couvre-feu – même si New Hope n'était pas Los Angeles, il avait préféré pêché par excès de prudence – en lui interdisant de fumer – alors qu'en la matière, il n'était pas un modèle de vertu – de boire de l'alcool et en la privant de sorties lorsqu'elle lui désobéissait. Il ne s'était jamais considéré comme un père surprotecteur. Il voulait juste que sa fille soit heureuse et en sécurité. Il avait échoué sur les deux tableaux.

La Lindsey qui se trouvait face à lui, tête baissée, sa main gauche triturant un bout de peau coincé sous l'un de ses ongles, n'était qu'une pâle copie de sa fille. Où était passée l'adolescente curieuse qui lui posait sans cesse des questions sur ses enquêtes, même si elle lui avait toujours paru plus intéressée par l'aspect sanglant de ses affaires que par la manière dont il les avait résolues ? Où était passée la jeune fille impétueuse qui piquait d'intenses crises de colère lorsqu'il lui interdisait de sortir ressemblant, sans le savoir, à sa mère lorsqu'elle faisait de même sur un plateau de tournage ? Elle a disparu le jour où Lindsey a failli mourir.

Il n'y avait pas pire souffrance pour un père que de manquer de perdre sa fille et il n'y avait pas pire torture pour un flic que d'être incapable de trouver le salopard qui l'avait laissée pour morte dans les bois. Trop impliqué dans cette histoire, Kenneth avait laissé Abby en charge de l'enquête tandis qu'il passait ses journées à l'hôpital et ses nuits près du téléphone. Lorsque Lindsey s'était réveillée de son coma, il avait été doublement fou de joie. Non seulement elle s'en était sortie mais elle allait dénoncer l'ordure qui lui avait fait ça. Seulement, Lindsey n'avait gardé aucun souvenir de son agression. Pire, elle avait également oublié les deux semaines qui l'avaient précédée.

Kenneth jeta un coup d'œil à sa collègue, en train de poursuivre l'interrogatoire des trois femmes présentes dans la pièce. Abigaïl était une excellente enquêtrice. Elle était intuitive, observatrice, tenace et déterminée. Elle ne lâchait jamais rien et allait jusqu'au bout des choses, se moquant totalement des conséquences. Une attitude qui ne lui valait pas que des amis, comme l'avait prouvée son récent accrochage avec les Fillmore. Un autre que Kenneth l'aurait probablement mise à pied mais pas lui. Il savait pourquoi Abby avait réagi de façon aussi excessive. Dans sa situation, il serait même allé plus loin.

Abby avait fait tout ce qu'elle pouvait pour identifier le fumier qui avait agressé Lindsey. Elle avait retourné chaque centimètre carré de l'endroit où sa fille avait été retrouvée. Elle avait mené des heures et des heures d'interrogatoire. Elle avait relevé tous les indices possibles et inimaginables. En vain. Pas de traces d'ADN exploitables. Pas d'empreintes identifiables. Personne ne savait ce que Lindsey était venue faire dans le sous-bois qui jouxtait le manoir Murphy pas même Sophia, qui avait douché les espoirs de Kenneth lorsqu'elle lui avait juré qu'elle ne lui y avait pas donné rendez-vous.

En voyant Abby se lever et le regarder d'un air interrogateur, Kenneth se força à revenir au présent. Il avait un crime à résoudre. Un crime odieux commis sur un des hommes les plus respectables de New Hope et ce, quasiment sous le nez de plus d'une soixantaine d'invités. Le meurtre de Patrick Murphy était à la fois une sacré opportunité pour sa carrière, s'il la résolvait, et une foutue bombe à retardement, s'il échouait.