Chapitre vingt-sept

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Angleterre, 30 avril 2018

L'obscurité.

C'est ainsi que je résumerais les dernières heures qui venaient de s'écouler et dont j'étais incapable de me remémorer. Un simple mot-clef, une banalité qui, pour autant, englobait tous mes songes. Ma hantise, le même rêve qui se répétait en boucle dans ma tête.

Je me redressai sur le lit. Autour de moi, une pièce que je supposais étroite et cloisonnée. Ma vision chercha à se conformer à la pénombre. Je tâtai anxieusement dans le vide. Mon cœur, lui, palpitait à tout rompre.

Je reconnus la chambre du centre. J'y avais été admise ce matin-même après avoir consulté un psychiatre – celui qui se chargeait de moi depuis ma libération, il y a près d'un mois et demi. Il jugeait ma santé mentale trop fragile pour me réinsérer, dans l'immédiat, dans le monde du travail.

Il me restait tant de démons à combattre...

Bien qu'elle décuplât mes sens, je me complus dans la chaleur étouffante de la nuit. Je levai les mains à peine plus haut que mon crâne et étendis mes jambes sur un mètre autour de moi. Dans quelle position me trouvais-je ?

Soudain, j'eus la sensation d'être piégée. Je cherchai un interrupteur, une porte, une issue – en vain. Déstabilisée, je m'accroupis et attendis. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front. Mes vêtements s'humidifièrent par la faute de ma température corporelle anormalement élevée.

Je me recroquevillai sur moi-même. Certaines sensations, certains mouvements ralentis m'interrogèrent quant à la nature de ce moment. Étais-je plongée dans un cauchemar ?

À la fois, je semblais si vivante, alerte et perturbée par ce que je vivais. Ma voix était bien réelle, quoique d'une tonalité plus aiguë qu'à l'ordinaire. Mes pieds, recouverts de fines chaussettes, touchaient le sol dur de la pièce. Un courant d'air frais s'y insinua, à moins que mon imagination n'ait pris le dessus sur ma raison. Était-il possible que quelqu'un eût entrouvert une fenêtre ?

— Maman ? Maman ! me mis-je à crier tandis que mes joues s'inondaient de larmes.

Je culpabilisai de me montrer si vulnérable, de ne pas réussir à garder mon sang-froid plus longtemps. Je priai l'aide de quelqu'un, n'importe qui pourvu qu'on me sorte de cet endroit qui me rendait claustrophobe.

— À l'aide ! Je suis enfermée !

Je m'arrachai les cheveux, hurlant de nouveau. Si cet enfer ne cessait pas, j'étais certaine de toucher à la folie.

Des illusions emmêlèrent mon esprit. Bientôt, je ne parvins plus à être rationnelle. Je me triturai les méninges à remettre les événements dans leur contexte. Qui m'avait emmenée ici ? Pourquoi ?

Je retirai mon haut. Mon nez se mit à couler. Mes pleurs firent écho dans la pièce. Comme si ma tête s'apprêtait à imploser, j'entendis de vagues bourdonnements et retins ma respiration. Un... un moteur ? Une voiture ?

Je réalisai que je n'étais ni plus, ni moins près d'une route à la circulation dense. Je me redressai en vitesse, le derrière endolori. Le fond de mon cœur fut percé d'une violente lumière – de l'accablement qui devint de la pure frénésie.

— Au secours !

Je hurlai à m'en écorcher la voix, tremblant de nerfs. Il ne s'agissait-là que d'un mauvais rêve traducteur de mes peurs les plus sombres, les plus refoulées aussi – celles qui me guidaient au quotidien.

L'amnésie me prit. Je me revis, à l'aube, devant le miroir de la salle commune. À quoi ressemblais-je sans cette immonde blouse et cette chevelure en bataille, ces boursouflures sur les genoux et ces écorchures sur la plante des pieds ? Que reflétait mon regard avant qu'une peur bleue n'envahisse mon âme ?

Qui y avait-il derrière le prénom d'Aislinn ? Qui étais-je avant que Vassilis ne commette l'irréparable ? Avant cette promiscuité forcée, ces expressions lasses et ces regards peinés... Comment me comportais-je avec les personnes que j'aimais ?

Je me tenais entre ces quatre murs comme un pantin, une poupée de cire qui ne pouvait bouger au risque de se briser.

J'inspirai profondément.

Tout va bien.

Incertaine, je fermai les yeux. Je m'imaginai blottie dans les bras de ma mère. Je me souvins avec précision de ses traits, de ses reflets froids couleur acajou. Les effluves de son parfum flottaient autour de moi, elle me berçait sur ses genoux. Ma main dans la sienne, je la sentais presque.

Peu à peu, par-dessus mes paupières closes, le néant se transforma en une porte de sortie faite de lumières tamisées, puis vives. Aveuglantes.

Je les masquai de mes paumes, en proie à une agitation sans nom. Je me relevai, retirai le plus fin tissu que j'arborais et couvris mon regard.

Je n'avais plus si chaud qu'avant.

Mon corps se raidit au contact d'une poignée. Je l'inclinai, mais la fenêtre ne se déverrouilla pas. L'ouverture paraissait barrée d'un volet en iridium – d'après mes connaissances, un matériau bien trop solide pour parvenir à le tordre.

Malgré mes efforts, je compris que je m'agitais vainement.

Inutile de résister.

Inutile de résister, car non seulement j'étais coincée dans ce lieu fondé par mon esprit, mais parce que Vassilis avait gagné. D'où que je sois, ses ignominies hantaient ma mémoire.

Le front plissé, la bouche pincée, je réfléchis.

Rien n'est réel.

J'arpentai la pièce. Enfin ! L'interrupteur espéré glissa sous mes doigts. Je l'activai, poussant un soupir de soulagement dès qu'une infirmière entra dans mon champ de vision. J'étais nue et elle, visiblement inquiète des effets secondaires que la prise médicamenteuse avait eus sur moi.

— Ce n'était qu'un cauchemar, m'approcha-t-elle prudemment. C'est fini.

Je l'ignorai. La baie vitrée donnait sur une file de voitures enlisées. Un accident s'était produit et cela m'avait embourbée.

Le sang pulsa dans mon corps. Mes yeux papillonnèrent sous le bandage qui entourait ma plaie à la tête, causée par une anxiété que je ne maîtrisais plus.

Je m'effondrai quelques secondes plus tard, sombrant dans l'inconscient et la démence.

FugaceWhere stories live. Discover now