Chapitre quatorze

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Aislinn

Angleterre, ancien centre de détention, 7 mars 2018

La plupart du temps, l'ennemi avançait dans l'ombre, imprévisible et joueur. Il partait d'un point précis afin d'en atteindre un autre, s'arrangeant pour que nul ne le voit venir. En promettant monts et merveilles à ses hommes de main, l'adversaire s'assurait leur confiance et leur loyauté, renforçant l'emprise qu'il exerçait sur eux.

Seulement, il arrivait qu'une simple brèche, aussi infime soit-elle, s'ouvre pour qu'un tiers s'en saisisse et compromette toute la stratégie.

Il m'avait fallu plus d'un jour pour cerner le comportement des ravisseurs. Depuis l'espace étroit qui m'était attribuée, j'avais observé leurs postures, scruté le moindre de leurs faits et gestes... Des détails cruciaux qui m'avaient renseignée sur ces étranges personnages aux caractères divergents, d'apparence si uniformes.

J'avais mis toutes les chances de mon côté pour obtenir un coup d'avance sur eux, devenant les yeux et les oreilles de la vice-présidente.

Mon premier constat fut le suivant : la réussite du plan reposait essentiellement sur le binôme Alistair-Saveria. Vassilis en tirait les ficelles depuis sa cellule réaménagée dans l'aile ouest où, d'après les dires d'Hosana, il y négociait ardemment avec la police, mais ses ses sbires s'étaient engagés à le mettre en œuvre.

L'ancien marine se chargeait des ravitaillements. En passant des rations, des moyens de transport aux munitions en tout genre – difficilement procurables au Royaume-Uni –, il était le seul individu apte à s'en procurer et donc autorisé à sortir du pénitencier. De ce fait, la surveillance des otages revenait à Saveria.

De garde depuis qu'Alistair avait quitté son poste, la complice n'avait eu droit à aucun temps mort. J'avais entendu son estomac gronder durant des lustres. Aucun repos ne lui avait été accordé, c'était tout juste si elle avait pu s'échapper une minute pour se rendre aux petits coins.

Durant ce laps de temps qui avait dû lui paraître une éternité, l'ancienne chirurgienne était restée de marbre. Froide comme un mur de prison, ses gestes semblaient automatiques, presque instinctifs. Les avait-elle répétés ?

Manifestement, le script ne lui appartenait pas. Bien qu'elle n'avait rien d'une figurante, le metteur en scène avait choisi de lui soutirer le rôle principal de la pièce. S'était-elle prédisposée à son contrôle et son épiement, s'assurant une conduite irréprochable ?

Qui Saveria souhaitait-elle satisfaire ? Vassilis, qui semblait trop intransigeant pour que les événements se profilent bien, ou Alistair, avec qui elle échangeait secrètement des mots doux ?

Tandis qu'elle restait à mon chevet pour veiller à mes soins, au musée, je les avais surpris en compagnie l'un de l'autre, enlacés à quelques pas de mon lit d'infortune, muets comme des carpes puis, peu à peu, bavards comme des pies. J'avais simulé un sommeil imperturbable, haletant d'angoisse à l'idée de me faire attraper.

Si dès le premier instant j'avais décelé chez Saveria une sensibilité accrue, j'avais découvert une facette insoupçonnée d'Alistair : celle d'un homme tendre, attentif et bienveillant – tout le contraire de l'être insensible qu'il redevenait dès que Vassilis se trouvait dans les parages.

« Comment est-ce que tu vas ? » s'inquiétait-il entre deux couloirs.

Saveria laissait planer un silence lourd de sens, preuve irréfutable qu'elle le tenait responsable de cette situation. Elle éprouvait de la rancœur à son égard. Lui, ignorait ses réactions. Il poursuivait toujours : « Un peu de patience, 我的甜蜜*. Tout prendra fin ».

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