Chapitre six

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La brume m'enveloppait d'un halo de lumières blanchâtres. Je distinguais à peine le bout de mes doigts que je remuais lentement, le regard vitreux, plein d'incompréhension. Où étais-je ? Un monde parallèle au mien, espace hors du temps ?

Mon corps flottait, libre dans l'air. J'entendis le son d'une voix feutrée. Rêvais-je ?

Peu à peu, la voix se fit plus proche. Mes yeux s'agrandirent en découvrant le visage de mon fiancé, qu'un sourire illuminait de manière presque irréaliste. Sans un mot, il plongea son regard dans le mien, lut en moi, décrypta ce que je n'avais jamais osé dire, jamais osé faire.

Nos doigts s'entrelacèrent. Nous nous comprenions. Nos pensées divergeaient mais se rejoignaient irrémédiablement. L'amour que nous nous portions dépassait jusqu'au plus grand néant. Seul, il subsistait. Envers et contre tout.

Les traits de son visage s'effacèrent avant que sa silhouette ne disparaisse complètement. Mes battements de cœur s'accélérèrent. Mes yeux fouillèrent l'horizon invisible, en quête de réponses. Je foulai le sol dans l'espoir de tomber sur quelque chose – une porte, une fenêtre, une personne... Mais je me retrouvai seule face à moi-même, seule face à mes pensées les plus sombres, guidée par des peurs irrationnelles que je n'avais jamais su vaincre.

Un étau grandissait en moi, prenant mon être tout entier à l'assaut. Je perdais le contrôle de mes sens. À quoi cela rimait-il ? Qu'attendait-on de moi ? Fallait-il que j'explose, que je brise toutes les frontières que j'avais inconsciemment érigées ?

Devais-je dépasser ces innombrables questions qui n'avaient jamais trouvé de réponses ? Cesser de redouter l'inconnu, la mort et tant d'autres choses qui me terrifiaient pour, simplement, vivre avec insouciance ?

Étais-je aussi libre que je le pensais ou avais-je sans cesse repoussé les démons qui m'habitaient ? Me bernais-je ? Avais-je, comme des millions d'êtres humains, préféré enfiler un masque plutôt que d'affronter la réalité, aussi dure à encaisser soit-elle ?

Combien de blessures avais-je refoulé par crainte de faire preuve de faiblesse ? Combien de fois avais-je douté de moi, de mes capacités ? Combien de fois avais-je remis en question les moindres détails de mon existence et combien de choix m'avaient privée du bonheur ?

Je continuai de m'agiter. Absence de nuages, mais le tonnerre gronda aux extrémités de ce ciel livide. Le vent siffla dans mes tympans, mes pensées s'accordèrent avec le temps. Je tournoyai, colportée d'un bout à l'autre du vide par une main imprévisible. Étrangère à cette illusion, je percutai l'indistinguable et me réveillai au cœur du musée de Kettle's Yard.

*

Je mis un moment à recouvrir mes esprits. Ce rêve m'avait bouleversée. À quel instant avais-je loupé le coche ?

Je n'eus pas l'occasion d'y réfléchir davantage. Le guide fit irruption dans la pièce où j'avais été installée. J'étais adossée à une chaise. Plusieurs bandages s'enroulaient autour de ma cuisse sanguinolente. Des béquilles de fortune reposaient entre le mur et la commode. Cela signifiait-il que nous nous déplacerions ?

Tandis que Saveria appliquait des bandes stériles sur ma plaie, Vassilis effectuait les cent pas tel un fauve en cage, prédateur sur le point d'attaquer. Il fixait ses ongles de main, tenant son arme à feu de l'autre. Son corps maigre pivota dans ma direction, puis il inclina le menton pour mieux planter son regard incisif dans le mien. Que devais-je craindre, si ce n'était me prendre une balle dans la jambe qu'il me restait ?

— Je suis surpris.

Il plissa la bouche en une moue boudeuse. L'air réfléchi, il joua avec son arme avant de me faire face.

FugaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant