Chapitre quatre

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5 mars 2018

Hosana m'avait donné rendez-vous à l'entrée d'un musée côté ouest de Castle Street, entre Northampton et St Peter's Church. Je suivis ses indications à la lettre, ne parvenant pas à contenir mon impatience. Je reconnus la vice-présidente à son béret rouge, ses escarpins vernis et la pochette débordante de papiers qu'elle tenait dans les mains. Elle patientait sous un abribus, tapant du pied par automatisme.

Sous cette apparence apprêtée se cachait une femme remarquablement simple qui, sous ses airs angéliques, imposait le respect. D'abord, c'était sa beauté naturelle qui vous saisissait : une silhouette élancée, un teint hâlé qui mettait en valeur ses yeux clairs et sa chevelure d'un blond polaire, parfaitement disciplinée. Puis, en échangeant avec elle, on découvrait sans grande surprise son ambition, son intelligence et sa créativité.

Ce travail la passionnait. D'après Sören, les collaborateurs ne la tarissait pas d'éloges. Les équipes qui constituaient le comité et dont elle avait la supervision appréciaient son professionnalisme, son tact et sa pédagogie. En outre, Hosana organisait de prestigieux événements culturels à travers le Royaume-Uni. Privilège que ses collègues n'avaient pas : elle était régulièrement conviée à des réceptions à l'étranger et voyageait la moitié de l'année. Officieusement, Lady Gelbero en avait fait son bras droit et sa sécurité.

— Aislinn Lovelace ? s'avança-t-elle en me tendant une poigne chaleureuse.

— C'est bien moi.

— Enchantée de faire ta connaissance. Je me permets de te tutoyer, on a presque le même âge, me sourit-elle.

Sa remarque me fit sourire. Je n'osais pas lui demander, mais je lui donnais la trentaine, peut-être plus. Je n'avais pas ses compétences, encore moins son expérience, mais j'aurais la chance d'apprendre à ses côtés.

— Suis-moi, dit-elle, rejoignons le reste du groupe.

Les membres du comité patientaient au pied d'un bâtiment en briques jaune et marron qui donnait directement sur la rue. Un écriteau KETTLES YARD, fixé au mur, indiquait l'entrée du musée.

Après quelques politesses, nous envahîmes la pièce principale de la galerie. Je pris quelques notes sur mon carnet, attentive aux dires de notre guide nommé Vassilis. Les œuvres d'art se succédaient, représentatives de l'avant-garde britannique du vingtième siècle. Je devais l'avouer, les charmes de la demeure faisaient déjà leur effet : si de l'extérieur, la galerie ne payait pas de mine, à l'intérieur, elle regorgeait de merveilles en tous genres.

Je découvris le travail de Constantin Brâncuși, dont l'art m'interpella immédiatement. J'eus la sensation d'émerger de ma campagne profonde, de commencer à toucher du bout des doigts ce que j'étais venue chercher à Cambridge : la singularité de certains artistes, excentriques ou, au contraire, troublants de simplicité.

Nous traversâmes l'extension, une pièce lumineuse à l'extrémité des cottages, puis la salle à manger du chalet. Le propriétaire y avait subtilement modulé l'ombre et la lumière, faisant interagir objets d'art et simples décorations. En passant de l'idée de l'abstraction par Barbara Hepworth et Henri Moore au surréalisme par Joan Miró, tout inspirait à la créativité. Ici, l'art se déployait sous toutes ses formes.

— Jim Ede a écrit : « Nous trouvons un caillou parfait une fois par génération et une fois sur un continent... La perfection dans la nature varie pour chaque personne – c'est quelque chose créé entre la chose vécue et la personne qui vit. Pourtant, je sais quand je rencontre la perfection immédiatement. »

Au même moment, le piano Bechstein, aménagé sous l'escalier en bois, happa mon regard.

Nous visitions les lieux depuis près d'une heure lorsque je pris place sur un fauteuil près de Vittoria Cadbury, dont j'avais fait la connaissance lors de l'apéritif de bienvenue puis durant la semaine qui avait suivi. Nous nous glissions quelques mots de temps à autre, interloquées par l'attitude du guide. Ce dernier grimaçait chaque fois qu'il se lançait dans de longs discours. Il s'agrippait à la rampe menant au grenier avec une telle fermeté que les veines de ses avant-bras ressortaient.

Soudain, la sonnerie de mon téléphone interrompit mes pensées. Je me jetai dessus pour mettre fin à l'appel, m'excusant auprès du guide. Le regard qu'il me porta me troubla bien plus encore, mais nul ne sembla le remarquer. Je ne pipais mot durant tout le reste de la visite.

À partir de cet instant, l'atmosphère changea. Le voile d'émerveillement qui s'était posé sur mes yeux se leva. Une ambiance pesante planait au-dessus de nos têtes telle une épée de Damoclès. Je peinais à m'intéresser de nouveau à la collection, même si d'ordinaire je raffolais des expositions. J'espérais que les prochaines visites seraient différentes, que nos guides soient davantage... commodes.

Ledit Vassilis s'engagea sur le pont qui reliait les deux bâtiments. Je jetai un coup d'œil à travers la fenêtre.

— Ne traînez pas, mademoiselle. Un autre groupe m'attend.

J'avais envie de répondre : nous aurions plus vite fait d'en finir maintenant.

Par la suite, le guide nous présenta les projections d'ombres de La danseuse par Henri Gaudier-Brzeska, puis le disque suspendu de Gregorio Vardanega. Je regardai la bibliothèque avec envie, mais au fond, tout ce que je désirais à cet instant était de m'évader d'ici.

La sortie se fit de plus en plus proche. Une fine pellicule de sueur rendit luisant le front du guide, qui commença à ralentir la cadence. Ses pas lents, le tremblement presque imperceptible de sa jambe, ses doigts qui ne cessaient de s'entremêler, se démêler, sa voix portante qui se faisait autoritaire à mesure des mètres effectués... Tous ces éléments me sautèrent aux yeux sans que je ne sache quoi en faire.

Mon sourire m'avait quitté. Je m'efforçai de suivre le groupe sans broncher, en proie à un étrange pressentiment. Mon estomac se noua, mes épaules s'affaissèrent. Mon corps pressentait le danger.

Je dévisageai l'homme qui nous faisait face : ses traits ridés, les rares mèches sel et poivre qui couvraient son crâne, son regard sévère oscillant entre la porte vitrée et les visiteurs. Mes talons claquaient contre le parquet, rompant le silence, ricochant sur les murs attenants.

Je me mis à fouiller mon sac à la recherche de mon téléphone, désirant prétexter un appel important, sauf qu'une détonation se fit entendre. Mon cœur loupa un battement. Je repoussai d'un revers de main la frange qui me tombait dans les yeux, les relevant progressivement vers la source de ce son. Ma vision s'éclaircit, se troubla pour redevenir nette.

Je pris conscience que le guide pointait une arme dans ma direction.

FugaceWhere stories live. Discover now