Chapitre vingt-neuf

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Blaise mit un terme à nos retrouvailles. En le voyant sur le pas de la porte, un bouquet de fleurs fraîches en main, j'eus la brusque envie de lui faire ressentir à quel point l'amour était vital.

L'amour rendait beau. Ses pommettes ressortaient rosies sous une raie de lumière. Ses iris nuancés, eux, exprimaient le soulagement de me revoir.

Je m'imaginais lui sauter au cou, déboutonner son chemisier et le faire glisser sur ses épaules. J'embrasserais ses clavicules qui ressortaient, ses mâchoires anguleuses, puis ses lèvres roses et rieuses. Enfin, nous laisserions le désir prendre possession de nos corps jusqu'à ne faire plus qu'un.

Mon ardeur s'estompa aussi vite qu'elle était apparue. Mes parents se trouvaient là. Si Edwige considérait Blaise comme un membre de la famille, aux yeux de mes parents, il demeurait un inconnu.

Je tripotai mon menton du bout des doigts avant de me lancer :

— Papa, maman... Je vous présente Blaise Hargreaves, mon fiancé.

Les mâchoires de ma mère se décrochèrent. Edwige m'apostropha du regard. Je haussai machinalement les épaules ; j'aurais pu prendre des pincettes, me montrer prévenante, mais la finalité aurait été la même. Le fait est qu'ils m'avaient délaissée et que j'avais évolué.

Lisianthus et Alstroeméria, tes préférées, m'adressa Blaise dans une moue contrite.

Le pauvre ne savait plus comment faire diversion. Malgré le sourire qu'il forçait, son visage transpirait l'embarras. J'aurais ri de son allure juvénile si cette annonce n'avait pas autant désemparé mes proches.

Je décidai d'en finir avec ce malaise. Je m'approchai de Blaise, déposai un baiser sur sa joue et contemplai le bouquet aux teintes pastel qu'il me tendait. Je le remerciai de cette attention. Visiblement, ce laps de temps suffit à mes parents pour se remettre de leurs émotions.

— Maintenant que l'effet de surprise est passé, laissez-moi rembobiner... Blaise, voici mes parents : Ruth et Kipling Smith.

— Ravi de faire votre connaissance, Madame Lovelace. Monsieur, s'approcha-t-il en lui serrant la main, les yeux plantés dans les siens.

Ce geste me mit du baume au cœur : il n'était pas trop tard pour rattraper le temps perdu. J'étais persuadée qu'ils apprécieraient l'homme que j'aimais éperdument depuis deux ans.

— Tout le plaisir est partagé, acquiesça mon père.

Je les invitai à prendre place autour du petit-déjeuner dont ma mère et moi avions déjà commencé à picorer les mets. Elle ne rata pas cette précieuse occasion de mener la conversation. Je la laissai faire, enchantée de voir qu'elle s'intéressait à notre première rencontre comme à nos aspirations.

Parler de tout sauf de la prise d'assaut me changeait les idées. J'avais la sensation d'être normale. Intacte. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais à ma place. Je ne l'aurais échangée pour rien au monde.

*

— Tu as demandé la main de Blaise avec un caillou ? s'amusa mon père, un sourire aux lèvres.

— En quoi offrir une pierre plutôt qu'un diamant peut-il bien importer ? Seule la symbolique compte, non ?

— Et quelle est-elle, chérie ? répondit ma mère du tac au tac.

— On marchait sur la plage où on s'est rencontrés...

Je m'interrompis, pesant mes mots. Ce moment était gravé au fer rouge dans ma mémoire. Il s'avérait fort probable que je l'embellisse en le racontant, sauf que je ne voulais pas qu'il perde son charme initial.

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