— Je croyais que tu ne résisterais pas.

Je le dévisageai en silence.

— Pour une minette de vingt ans, tu as l'air d'avoir un mental à toute épreuve. Moi-même, plaisanta-t-il comme si la gravité de la situation lui échappait, j'aurais flanché avec le canon d'un P226 braqué sur la tempe.

Il éclata d'un rire si bruyant, innocent que je ne pus contenir l'acide gastrique qui remontait de mon estomac. Ses chaussures en firent les frais. Son expression vrilla du tout au tout ; je tombai à la renverse sous la force de son coup-de-poing. J'essuyai d'un revers de main le sang qui gouttait de mon nez, par chance épargné, à la commissure de mes lèvres. Humiliée, je tentai tant bien que mal de retenir mes larmes.

— Pauvre gosse, siffla-t-il. Il m'aura fallu quelques heures pour cerner ton personnage. Tu es sans doute l'un des plus jeunes membres du comité, mais tu restes la plus à risque... J'aurais dû en finir avec toi.

— Vassilis ! s'indigna Saveria.

— Toi, la ferme. Contente-toi de faire ce que j'ai demandé.

La réaction simultanée du ravisseur et de sa complice me choqua. Ils comptaient s'en tirer sans aucun décès.

Pourquoi l'avait-elle suivi dans ce coup ? Pourquoi aurait-elle démissionné de son poste si ce n'était sous la menace ?

Ma poitrine se serra. J'eus une envie pressante. Mon regard, lui, parlait à ma place. Vous avez trouvé la force d'appuyer sur la détente, pourquoi ne pas m'avoir tuée ?

— J'ai besoin d'aller aux toilettes, dis-je craintivement.

Saveria chercha du regard l'approbation de Vassilis. Ce dernier soupira avant d'activer son talkie-walkie archaïque :

— Alistair, Saveria prend la relève. Mademoiselle a besoin d'aller aux petits coins...

Le guide regagna le sous-sol, sa complice sur ses pas, me laissant à la merci du dénommé Alistair. Alors qu'il me tendait les béquilles, mille questions fusaient dans ma tête. Devais-je tenter de m'échapper pour alerter la police ? Le pouvais-je dans un état pareil ?

— Un seul faux pas et je me chargerai personnellement de te descendre, promit l'homme de main.

Je n'avais rien entrepris qu'il me démasquait déjà.

La peur et l'hésitation guidaient mes gestes. Nous traversâmes plusieurs couloirs avant d'atteindre les toilettes, par miracle dotées d'une fenêtre. Je jetai quelques coups d'œil derrière moi. Chaque fois, je croisai le regard impitoyable d'Alistair. Chaque fois, je sentais mon assurance se faire la malle. Cet homme au physique de marine, au crâne chauve et à la musculature qui en ferait pâlir des culturistes, imposait le respect. Dans une situation aussi cauchemardesque que celle-ci, la soumission.

J'eus la nausée et régurgitai mes tripes pour la seconde fois de la journée. Mon corps tout entier tremblait. Des larmes de désespoir se mirent à couler sur mon visage. J'avais conscience qu'Alistair posait sur moi un regard aussi insistant que malveillant. Il surveillait mes faits et gestes. Si j'avais l'intention de m'enfuir, je n'aurais pas la chance de parcourir trois mètres qu'une balle me déchirerait le front.

— J'ai pas tout mon temps, cracha-t-il.

Ahurie, il me fallut quelques secondes pour aligner une phrase cohérente. Qu'on m'épargne une telle humiliation.

— Vous... Vous pouvez sortir ? Je n'en ai pas pour longtemps.

— Il te reste une minute, refusa-t-il sans se démonter.

Je déglutis avec difficulté. Je n'avais pas le choix. Il ne détourna pas le regard, mais l'abaissa brièvement. Je me cachai, rouge de honte, pleurant de plus belle. J'avais la sensation de redevenir la petite fille que j'étais, pleine d'insécurités, approuvant la moindre décision que l'on prenait à ma place. Je me sentais impuissante. Combien de temps leur manège durerait-il ?

— On remballe !

Prise de court, au bord de la syncope, je me rhabillai en quatrième vitesse.

Nous rejoignîmes le reste du groupe : nous étions huit membres du comité et six étudiants en école d'art, soit quatorze personnes au total. Quels moyens emploieraient-ils pour conserver un tel rassemblement secret ? Nos familles finiraient bien par remarquer notre absence...

Je m'assis sur le sol aux côtés des autres, attendant les prochaines consignes du guide. La terreur imprégnait le visage de chacun comme un maquillage dont on ne parvient à se débarrasser.

— Chers détenus ! s'exclama-t-il soudain. Jouons aux devinettes...

Détenus. C'était le mot qu'il avait employé.

Hosana m'observait avec effroi. Lui, sautillait d'un bout à l'autre de la pièce. Je me recroquevillai sur moi-même, ignorant les plaintes douloureuses de mon corps.

— Donjon de fer à ciel ouvert, on y entend les oiseaux réciter leurs chants du matin jusqu'au soir. La nuit, les rafales brutalisent ses victimes aux corps ballants, à l'esprit autrefois futé, dorénavant usé par le temps... Qui suis-je ?

Silence, souffles entrecoupés.

— Pour des amateurs d'art, je vous pensais plus inventifs... Bon, je vous donne la réponse : je m'apprête à vous conduire dans le plus bel endroit du monde, un espace où le temps n'a pas sa place. Vous paniquez ? Vous ne devriez pas... Je vous offre l'opportunité de remédier à vos péchés.

FugaceWhere stories live. Discover now