Chapitre 22 - 1787 : Les Jeux du hasard et de la mort - Je rumine

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            « Ô Homme, qui que tu sois, toi qui juges, tu es inexcusable ;

               car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même,

                puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses.»

                               Le Nouveau Testament, Epître aux Romains 2,1


Je rumine


           A mon retour, les pieds dans le casernement, mais la tête dans la Méditerranée et les yeux quelque part en Corse, j'avais beaucoup de mal à revenir à la morne réalité et à la discipline militaire. Le colonel et Bastien passèrent quelques jours à la caserne, le colonel discutait avec les officiers supérieurs à propos de la Corse, ces derniers prêtant un intérêt non feint aux nouvelles apportées par le colonel et ses deux compagnons de voyage. C'était nouveau pour moi que d'être la source d'informations ignorées de ces messieurs très galonnés de mon régiment et d'être vraiment écouté par eux. C'était un peu le monde à l'envers.

                 Ce ne fut pas sans un pincement au cœur, alors que je ne suis pas une femme, que je vis partir le colonel et Bastien. Au dernier moment je volai "mon" tableau dans les bagages du colonel. Même si je gardais encore alors de la rancœur contre le colonel je savais que ces deux-là, qui avaient tant occupé ma vie pendant seize mois, allaient me manquer. Tout autant l'un que l'autre étaient pour moi de vrais messieurs et ils pouvaient compter sur mon amitié.

                 En 1785 j'aurai pu contracter un rengagement de huit ans dans l'artillerie, pouvant me valoir une prime de 30 livres. Mais, par les jeux du hasard et de la nécessité, je me trouvais à ce moment-là en Corse. Dans le mois d'août 1786, mes supérieurs insistèrent pour que je me rengageasse. J'étais réticent car je souhaitais vivement aller  dans ma famille, que je n'avais point vue depuis très longtemps. 

        "Il n'est pas à l'ordre du jour que vous partiez maintenant. Vous venez de passer seize mois au loin,  même si c'était pour les nécessités du service,  me fit comprendre la hiérarchie. Mais un congé l'année prochaine, est possible."

       En traînant des pieds je signai mon rengagement, y gagnant, outre la prime attendue, un chevron de laine sur la manche gauche de mon uniforme, ce qui me laissa de glace. Je rongeais mon frein,  il me fallait redescendre sur terre et me remettre au travail.

               La routine m'y força : étant chargé, en tant que sergent, des attelages et des munitions, j'essayais d'être, autant que faire se pouvait, travailleur, besogneux, sérieux jusqu'à la sévérité. Sévérité qui ne faisait pas l'affaire des caporaux et des soldats que j'avais sous mes ordres, qui me le firent aigrement savoir. Ils étaient là pour exécuter les exercices de tir et autres, pas pour supporter mes poussées d'excès de zèle ou mes énervements. Ils avaient raison : l'homme se doit d'être raisonnable, surtout en matière de commandement.


                Pour passer ce cap je m'absorbai outre mesure dans la préparation des munitions et surtout dans celle de la poudre noire. Me terrer pendant des heures dans un coin du petit arsenal pour doser sans erreur, tel un apothicaire avec son trébuchet, les proportions du mélange explosif - soit 75 pour cent de salpêtre, plus 12 virgule 5 pour cent de charbon et 12 virgule 5 pour cent de soufre - fut pour moi un exercice de concentration qui me fut salutaire. Ensuite faire charger les canons et faire tirer toutes ces bouches à feu m'apaisa.

 Ensuite faire charger les canons et faire tirer toutes ces bouches à feu m'apaisa

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Moi, Jean Thomas Collot -  Tome un : Au Temps des roisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant