Chapitre 16 : Corse (mars 1785 - juillet 1786) - Aux Bains

77 22 6
                                    


Aux Bains

        Fidèle à sa promesse le Dottore revint examiner son patient. Bastien fut palpé, interrogé, sondé et, bien entendu, eu droit à des séances de magnétisme animal pour l'aider à se guérir. Le docteur estima que son patient pouvait passer à l'étape suivante : les Bains thérapeutiques.

         Nous devions, selon la prescription du médecin, mener le patient aux Bains chaque jour, sauf si le temps se faisait menaçant, car pluie, grand vent  ou neige ne sont point conciliables avec les Bains thérapeutiques. Il nous fallait l'y mener en carriole, que le colonel loua pour ce faire.

       Pendant son précédent séjour le docteur nous avait montré les Bains. Nous imaginions des sortes d'anciens thermes romains avec de fières colonnes comme on peut en admirer dans de belles peintures. 

    Nous fûmes déçus

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

    Nous fûmes déçus. Les Bains,que l'on nommait ici Bains de Baracci (je ne sais pas ce que cela veut dire), étaient un bien grand mot pour une espèce de grand lavoir rustique. Ces bains se trouvaient là, perdus dans la nature, en contrebas de la route. Mais ils devaient bien avoir une certaine efficacité puisque le docteur les tenait en haute estime. « Ces Bains étaient déjà fréquentés par les Romains », nous apprit-il.

     Grand bien leur fasse, mais voilà qui ne nous impressionnait guère. Je me souvins alors que Boswell, le jeune aristocrate amoureux fou de la Corse avait, dans son récit de voyage, écrit qu'il se trouvait dans l'isle «un grand nombre de sources minérales, chaudes et froides... souveraines à la guérison de plusieurs maladies... et quelques médecins français, qui en ont fait l'analyse par la chimie, les ont aussi approuvée s».

    Pour ce qui était de « nos » Bains, malgré l'allure rustique de ce lavoir « glorifié »,  l'eau en semblait très pure. Quand nous y trempâmes nos bras, le colonel,Maître Tancrède et moi, trouvâmes l'eau tout à fait agréable :ni chaude, ni froide, juste à la parfaite et constante température. L'eau en était sulfurée, nous apprit encore le Dottore, ce qui était excellent pour la peau et tous les problèmes d'os, d'articulations et de nerfs. Dieu sait que notre pauvre Bastien avait ce genre de problèmes. Nous aurions fait n'importe quoi pour qu'il aille mieux. Nous promîmes de le mener aux «Bains» chaque jour, dussions-nous pour cela le porter à dos d'homme.

     Vint le premier jour où Maître Tancrède et moi transportâmes notre ami aux Bains. Nous avions déposé un matelas et des coussins sur le fond de la carriole pour lui épargner, au maximum, les cahots du transport. Bastien était heureux de sortir de son confinement en chambre et, même s'il ne pouvait toujours pas marcher, il parlait d'un ton enjoué. Peut-être pour se rassurer avant les Bains. Une fois arrivés nous lui enlevâmes ses bandages et attelles et, en chemise, le déposâmes assis, jambes allongées dans le lavoir. Il apprécia beaucoup cela. L'eau était un vrai plaisir. Maître Tancrède et moi-même nous joignîmes à lui, car un petit bain ne nous ferait pas de mal.

     Le lendemain, alors que nous revenions pour la cure quotidienne, nous vîmes que ce lieu stratégique était déjà occupé. Quelques demoiselles du village se passaient de l'eau sur le visage, trempaient leurs bras nus et pieds dans l'eau - tout en dévoilant leurs jolies chevilles et beaux mollets - les plus audacieuses osant même se plonger entièrement habillées dans les Bains. A quelque distance, des garçons du village, des graines de ruffians, ne cessaient de les regarder. Nous comprenions les envies de ces tout jeunes hommes car, quand ces demoiselles sortaient de l'eau, leurs robes plaquées contre leurs corps, plus rien alors n'était dissimulé des charmes et douces courbes de leurs silhouettes. Tout ceci les rendaient encore plus désirables que si elles eussent été nues.

    Cette fois-là, alors que nous approchions d'elles avec notre carriole, et malgré toutes les paroles rassurantes que leur prodigua Maître Tancrède, elles s'enfuirent prestement, se cachant sous des draps blancs, telle une nuée de petites nonnes effrayées par la soldatesque.

    La fois suivante, quand elles comprirent que nous ne venions pas aux Bains pour les ennuyer, quand elles virent Bastien en chemise, quand Maître Tancrède et moi ôtâmes les attelles et les linges de la jambe martyrisée, quand les demoiselles comprirent la profondeur, la gravité et la laideur des blessures de Bastien et que nous n'étions là que dans le noble but d'aider à la guérison du pauvre corps de Bastien, alors les demoiselles changèrent d'attitude. Ce ne furent plus que compassion, sourires, des « picculu Bastiano », des noms gentils en corse.

    Tout cela, bien sûr, sous le regard courroucé des garçons du village. Jaloux. Rien de plus normal. Les fois suivantes les demoiselles se chamaillèrent pour savoir qui tiendrait les mains de « Bastiano », qui lui laverait la tête. « Bastiano » se laissait faire, trop heureux d'être le centre de l'attention de ces jeunes filles. Pendant que Maître Tancrède et moi tentions de continuer à faire suivre son traitement à Bastien, dans ces eaux tièdes et curatives, et à lui ordonner de faire les mouvements des jambes dans l'eau sulfurée, selon les très précises instructions du médecin.

     Parfois une commère d'un certain âge passait et criait aux demoiselles des propos peu amènes. J'en compris le sens : « N'avez-vous pas honte, mauvaises filles, de traîner ainsi avec ces maudits soldats français. » Alors les demoiselles, craignant leurs familles et le qu'en-dira-t-on, s'enfuyaient. Mais les unes ou les autres, ou toutes ensembles, revenaient quelques jours plus tard, plus attentionnées que jamais envers le petit Bastiano.

     Non, Madame la commère, ces demoiselles n'étaient pas de mauvaises filles. Ces jeunes filles ne « traînaient » pas avec nous, comme vous le grogniez rudement. Il se peut, Madame la commère, que le poids de votre fierté, mal placée en ce cas, vous égara. Par leur gentille présence, ni trop distante, ni trop proche, par leurs sourires sans méchanceté, par leur charme, nullement vénéneux ou équivoque, par leur authentique charité, ces demoiselles (en permettant à l'esprit de Bastien de se concentrer sur autre chose que sa douleur, sa blessure, son malheur) aidèrent grandement, telles des fées, à la guérison de notre infortuné ami. S'il put un jour à nouveau marcher avec ses deux jambes ce fut, aussi, grâce à l'aide désintéressée, et d'autant plus précieuse, de ces demoiselles. Par-delà les années et la distance je les en remercie.


     Ce fut ainsi que, lentement mais très sûrement, comme l'avait scientifiquement prévu l'estimable Docteur Carlo Jacomino, médecin des corps, et surtout, des âmes, les bains curatifs firent merveille sur notre ami. Tel un grand seigneur, ou un dieu antique, j'eusse aimé pouvoir couvrir d'or tous ceux qui avaient accompli si grand prodige.


------------------------------------------------------------------------------------

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

------------------------------------------------------------------------------------

Tableau central : "Fantaisie architecturale" par Antonio Joli, peintre italien (1700-1777)

Tableau d'en bas : "Le Bain" par Hubert Robert, dit "Robert des Ruines" (1733-1808)

Moi, Jean Thomas Collot -  Tome un : Au Temps des roisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant