Chapitre 18 : Corse (mars 1785 - juillet 1786) - Nous discutons

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       Comme je menais Bastien en carriole vers les bains pour sa trempette quotidienne j'avais grand mal à me concentrer, ne pensant qu'à la nuit précédente. Nonchalamment étendu à l'arrière, tout en mâchonnant un brin de paille, le « picculu Bastiano » profitait de la douceur de l'air.

          « Alors, me demanda-t-il avec l'air le plus détaché, ta nuit a été bonne ?

- Oui, ça va, lui répondis-je de la voix la plus banale au monde.

- Ecoute ma question Jean Thomas -là je dressai l'oreille car Bastien ne m'appelait jamais par mon prénom- ta nuit a-t-elle été bonne ? »

     Pas possible,  il SAIT. Mais comment sait-il ? Qui le lui a dit ? Ni le colonel, ni notre guide ne sont rentrés. Maria ? Pas possible. Ne rien répondre. Ne rien avouer. Après tout Bastien n'est ni membre de l'Inquisition, ni de la Justice militaire. 

      Mon questionneur semblait attendre une réponse. J'étais bien décidé à ne rien cracher. Comme un peu las Bastien lança :

    « J'ai été réveillé par un bruit très métallique. Bruit qui provenait de ta chambre... C'était comme une pièce lancée contre le mur et tombée en rendant du bruit. Je me suis vite rendu compte que tu n'étais pas seul dans ton réduit, sur ton lit. J'ai bien tendu l'oreille car les distractions sont rares par ici... »

    J'arrêtai net la carriole et scrutai vite les alentours pour m'assurer que personne ne nous entendrait ou pourrait se cacher derrière un arbre. Aucun danger en vue. Alors je tirai le col du  « picculu Bastiano » et, sans aucune douceur, serrai mon poing autour de son cou. Il était temps de lui faire comprendre :

    « Si tu dis quoi que ce soit, à qui que ce soit sur cette nuit je te promets, Patte folle, que j'écrabouillerai ta jambe du milieu. Tu m'as bien compris. J'en ferai de la pâtée pour les matous. Fini, plus rien entre toi et les femmes.

- Oh, répliqua-t-il narquois et prenant tout cela en plaisantant, ta menace semble sérieuse. Mais ça me convient comme traitement. Comme cela, ajouta-t-il mi-sérieux mi-amusé, je pourrais chanter comme les castrats si populaires à Naples et dans toute l'Europe et devenir très riche en chantant. »

    Je lui jetai un regard noir.

   « A vos ordres Sergent-artilleur Collot des Herbiers, je serai une tombe !  -Bastien ne m'appelait jamais en me donnant mon grade, je ne savais que penser-.  Alors raconte. Raconte-moi ta nuit !

- Non. Le colonel nous a appris qu'un gentilhomme ne parle jamais des bonnes fortunes qu'il a avec les dames. Ni de ses mauvaises fortunes.

- Voyons Jean Thomas premièrement nous ne sommes pas des gentilshommes. Deuxièmement ni toi, ni moi, ni même ces nobles qui se gargarisent tant d'être gentilshommes, personne n'est gentilhomme, tout cela n'est qu'hypocrisie, surtout pour accéder aux femmes.

- Je t'ai connu plus discret et plus sensible.

- Je suis surtout un gars qui n'a pas eu la chance de serrer dans ses bras une dame, la nuit dernière, ni depuis plus d'une année non plus. Dis-moi, raconte-moi.

- Non.

- Tu pourrais au moins le faire en guise de remerciement.

- Pardon ? Te remercier de quoi ?

- Eh bien, affirma Bastien avec beaucoup d'aplomb, sans moi et ma patte folle tu ne serais jamais venu ici, tu ne l'aurais jamais rencontrée et donc jamais possédée. »

     Il est vrai que dans cette phrase la logique de Bastien était imparable. Pire qu'un déluge de boulets sur un cabanon en planche. Il continua :

« Tu te contentes de me raconter ta nuit... votre nuit. Pour les travaux d'approche tu n'as rien à me raconter, je sais déjà tout.

- Comment cela tu sais tout ? Mais, triple buse, je n'ai rien fait pour la séduire. Je ne lui ai jamais fait la cour. Je n'ai rien fait pour l'attirer.

- Oh que si ! Tu t'y es pris très finement pour la séduire.

- Mais non, insistai-je en serrant à nouveau très fort son col, tu racontes n'importe quoi. Je n'ai rien fait pour l'attirer. J'avais envie d'elle mais je ne le lui ai jamais fait savoir. Avant cette nuit je ne l'avais jamais touchée, ne serait-ce qu'avec le bout de l'ongle. Tu te trompes, Bastien. Ta blessure à la patte t'est montée à la tête... Je... Je n'en reviens toujours pas qu'elle soit venue dans mon lit... Je ne comprends rien aux femmes.

- D'abord Collot, arrête de m'étrangler. Ensuite, si je peux encore respirer, je t'expliquerai. »

      Je lui lâchai le col, mais continuai à le regarder de travers.

   « Je sais très bien, Collot, que tu ne lui as pas conté fleurette, que tu ne lui as pas dit ces mille sottises sucrées que tout séducteur débite aux femmes. Je sais que tu ne lui as pas brodé des compliments, pour la simple raison qu'elle et nous ne parlons pas la même langue. Mais, que nous le voulions ou non les femmes ont beaucoup à nous apprendre aux jeux de l'amour et du hasard. Le hasard qui nous a fait échouer ici...

- Ne pourrais-tu pas être plus clair ? le coupai-je

- Je te dis simplement que tu dois apprendre à lire plus profondément en toi. Ne reste pas à la surface de tes actions, de tes impressions. Ne comprends-tu pas que nos actions peuvent avoir bien des significations ?

- Pourrais-tu me traduire tout cela ? Je ne comprends rien à ce que tu me serines.

- Collot, tu es meilleur en mathématiques et en géométrie qu'en sentiments. C'est en t'intéressant sincèrement aux trois enfants de Maria, en leur faisant l'école, en leur apprenant à lire, à écrire... Bref en les sortant de l'ornière d'ignorance où ils se trouvaient, et même si une partie de ton cerveau ne se rendait pas compte de ce que l'autre partie plus profonde du cerveau faisait, c'est ainsi que tu as séduit leur mère. »

Moi, Jean Thomas Collot -  Tome un : Au Temps des roisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant