ENDLESS RAIN

12. WILD CHILD (PARTIE XIII)

— Excellente formulation, souligna-t-il en s'asseyant directement à même la table. Tu as mis le doigt sur quelque chose, bien que ce ne soit pas aussi simple que tu le penses. Certes, nous ne nous sommes pas dévoilés au grand jour avant aujourd'hui, mais nous avons défendu chèrement notre peau, et celle de nombreux autres à bien des reprises. À chaque fois que l'un des deux camps avait le malheur de commencer à nous repérer, nous avons dû effacer les pistes et nous battre. Littéralement. Tu ne peux pas imaginer le nombre de personnes qu'on a perdues de cette manière.

Un souvenir émergea à la lisière de ma conscience à cet instant. Cette soirée où N.J. était revenu amoché pour la première fois en déplorant la mort de Zacks, l'un de ses hommes les plus loyaux d'après lui. Une phrase m'avait considérablement marquée au cours de notre conversation : « Je sais qu'on n'est pas la meilleure option qui soit, mais on ne mérite pas de voir nos gars se faire descendre pour ça ». Et dire qu'à l'époque, je croyais qu'il parlait de l'Union Bleue ! Depuis le début, il m'avait involontairement laissé des indices sur la Résistance, mais j'étais bien sûr trop noyée dans mes problèmes personnels pour en prendre conscience.

— Tout ça pour dire qu'au départ, nous étions partis avec une idée bien précise en tête. Peu de gens le savent, mais avant que notre monde ne commence à virer au cauchemar, avec la montée des eaux et tout le bazar, des études avaient prouvé que cet état, malgré quelques catastrophes « naturelles », deviendrait vite stationnaire, mais surtout, qu'il n'était que temporaire...

Je sentis ma mâchoire se décrocher.

— Temporaire ?

— Eh oui ! Bien qu'une trentaine d'années, ça puisse sembler un sacré paquet de temps à l'échelle humaine, ça ne représente absolument rien si on prend en considération les milliers, voire les centaines de milliers d'années, qu'ont pris les effets de certains évènements à s'estomper, selon les coins de l'univers.

— Est-ce que tu es en train de me dire qu'avant même la montée des eaux et les guerres civiles qui en ont – tu excuseras le mauvais jeu de mots – découlé, ils savaient que ce ne serait que temporaire ? Que les choses pourraient revenir à la normale à un moment ou un autre ?

— Eh bien... oui. Entends-moi, je ne sais pas si on verra vraiment un jour le niveau de la mer baisser ou quoi que ce soit. Mais en toute logique, nous devrions voir le soleil réapparaître très bientôt.

Je sursautai sur ma chaise.

— Tu as conscience de ce que tu viens de dire ? m'ébahis-je.

— Assez, oui. J'ai surtout conscience que ça signifie qu'ils ont joué aux enfants sauvages en s'entretuant tous le plus rapidement possible. Et en espérant par la même occasion asseoir au plus vite leur domination, avant que les choses ne reviennent à la normale. Mais quand il n'en est resté plus que deux, et que la situation est devenue trop équitable pour que l'un se démarque plus que l'autre, ils ont conclu une trêve en s'accaparant chacun une moitié de l'Île. Leur domination leur est tellement montée à la tête qu'ils ont fini par prendre confiance en l'avenir. Ils se sont accordés le temps de nous voir grandir, avant de chacun nous confier leur futur.

Il croisa les bras en pinçant les lèvres, pensif.

— Parce que réfléchis : si on s'était mariés comme prévu, j'aurais logiquement eu la main sur le « royaume » et donc, plus précisément, c'est mon père qui aurait gardé la main dessus, gagnant ainsi la guerre entamée depuis plus de vingt ans. C'est là où ton père a prévu la parade, en te contraignant à nous faire rompre le contrat pour ranger l'opinion et la morale de son côté, après avoir accusé l'Union Bleue. Il espérait que ce déséquilibrement des forces en sa faveur suffirait à engager une dernière bataille facile à gagner pour lui, avec plus d'effectifs que la dernière fois et en se reposant sur l'effet de surprise. Bref, c'est...

— Une belle bande de pourris !

— Accessoirement, trouva-t-il la force de rire.