ENDLESS RAIN

1. UNDERWATER (PARTIE IV)

Je n'arrivais toujours pas à digérer l'accord dont j'avais été l'objet plusieurs années avant ma naissance. Peu après les évènements qui avaient conduit à l'édification de ce barrage, plusieurs groupes dissidents avaient profité de l'écroulement du système politique du pays pour se livrer à une guerre dont il n'était resté que deux camps fondamentalement opposés.

Après des batailles qui n'aboutissaient qu'à des bains de sang chez les uns et les autres, une sorte de trêve avait été décidée pour que nous puissions coexister en paix. Un pacte dont l'enjeu consistait à marier la progéniture des deux chefs de file de ce combat, afin d'assurer l'union de deux peuples désunis. Stanton Connelly, général de l'Union Bleue, ayant été le premier à mettre au monde un fils, mon cher père n'avait eu d'autre choix que de présenter une fille au reste de la population. Autant dire qu'il n'avait jamais pardonné à ma mère sa lenteur à lui offrir un fils, tout comme il ne m'avait jamais pardonné d'exister.

J'avais donc eu le malheur de venir au monde trois ans après la naissance du mystérieux Connelly Jr, dont j'ignorais jusqu'au prénom et au visage. Notre mariage arrangé et ses détails avaient fait office de cadeau pour mon dixième anniversaire. Et dire que dans moins d'une semaine, à mes dix-huit ans révolus, je me verrais contrainte de partager le milieu dans lequel évoluait celui-ci et de respirer le même air que l'ennemi. Je gardais toutefois le maigre espoir qu'il soit moins vicié que celui que j'avais toujours connu.

Ces pensées tournaient inlassablement dans ma tête, alors que je balayais les environs à la recherche d'un signe quelconque qui me permettrait de l'identifier. J'imaginais, peut-être assez naïvement, qu'il se démarquerait de la masse de soldats par sa froideur, sa prestance, son arrogance, ou peut-être même par l'espace qu'il aurait mis entre lui et ses inférieurs. Mais peu importait où je promenais mon regard, je ne voyais qu'un bloc de guerriers en parfaite harmonie.

Un faisceau lumineux rouge se braqua brutalement sur le verre de mes jumelles, ce qui me fit vaciller en arrière – et rencontrer le sol par la même occasion. Je me redressai vivement avant de me jeter sur le côté de la fenêtre, consciente que je venais d'être repérée. Je n'aurais su dire par qui ou par quoi. Il paraissait peu probable qu'il s'agisse d'un guetteur du camp adverse. Jamais le général en chef de l'Union Bleue n'aurait envoyé ses précieux effectifs sur un terrain abandonné et impraticable, qui n'offrait par conséquent aucun moyen tactique d'invasion. Se pouvait-il que mon père m'ait fait suivre jusqu'ici, alors ? Mais dans ce cas, il aurait préféré envoyer non pas un, mais tout un escadron de soldats, pour venir me chercher et m'humilier comme il se devait. Donc là, sincèrement, je ne voyais pas qui m'avait ainsi prise pour cible.

Je retins mon souffle lorsque le rayon disparut soudainement du mur en face où il s'était fixé en l'absence de cible, et attendis plusieurs secondes avant de risquer un coup d'œil prudent par l'ouverture. Celui-ci se braqua de nouveau brutalement sur moi et m'obligea à me replier, mais pas avant d'en avoir localisé la source. Il me semblait avoir entrevu la silhouette d'un sniper dans l'immeuble à une vingtaine de mètres en face de moi.

Alors même que je passais à toute vitesse devant l'ouverture pour me mettre à couvert de l'autre côté, espérant ainsi trouver un meilleur angle de vue, un sifflement aigu fendit l'air dans ma direction. Le projectile m'évita de peu et alla se ficher dans le mur visé.

Je considérai celui-ci, les yeux écarquillés. Il s'agissait d'une sorte d'araignée métallique ramassée en boule, qui avait déplié ses pattes à la dernière seconde pour s'ancrer sur la surface lisse. J'entendis un bruit de décompression, avant que l'insecte robotisé ne retombe sur le dos en se recroquevillant, inerte. À l'endroit où il s'était tenu figurait un dessin tracé à la peinture rouge.