2. BLACK VEIL BRIDES (PARTIE XI)

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Je ressentis immédiatement une sensation de vide et préférai l'attribuer à mes réflexions noires. Le morceau se termina finalement, alors que le chanteur se débarrassait de sa guitare dans un coin. Il tira ensuite une cigarette et un briquet de sa poche arrière, ce qui me donna envie de râler. Cela avait beau être moins toxique qu'autrefois, je ne supportais pas de sentir cette fumée âcre près de moi.

N.J. l'apostropha alors que les discussions repartaient bon train, et celui-ci lui fit un signe en désignant quelqu'un dans la foule. Le bout de sa cigarette s'allongea sous l'effet du petit brasier rouge qui enflammait la toile des dernières années de sa vie. Mon compagnon de route se retourna, juste le temps pour le leader d'aspirer une dernière bouffée avant d'écraser sa cigarette – quasiment entière – sous sa chaussure. Quelle utilité, vraiment...

— Tu restes là, O.K. ? m'enjoignit celui qui se tenait à mes côtés en se penchant vers moi pour se faire entendre.

La musique s'était arrêtée pour le moment mais le brouhaha de la foule couvrait tout.

— Ça marche, opinai-je.

Une autre chanson démarra, alors qu'il fixait tour à tour mon visage et quelque chose qui se trouvait dans mon dos. Je me laissai embarquer par le morceau, touchée par cette succession de notes et de paroles que je n'avais jamais entendues de ma vie.

— Attends ! criai-je pour me faire entendre alors qu'il s'éloignait déjà. C'est quoi, cette chanson ?

Il réfléchit en marchant à reculons.

Temporary Bliss, je crois. C'est un groupe qui chantait ça. Une histoire de taxi... The Cab, ou un truc comme ça !

Ce fut la dernière chose qu'il prononça avant de disparaître dans la foule. Je me replongeai dans l'histoire de ce type, décidé à poser un ultimatum à la fille qu'il aimait éperdument, mais qui ne l'appelait que lorsqu'elle se retrouvait seule la nuit. À la fin du titre, je me rendis compte que rien n'indiquait clairement que c'était bien un homme qui était censé s'épancher sur son malheur. Peut-être le croyait-on parce qu'elle était chantée ce soir par un membre de la gent masculine, mais peut-être était-ce aussi parce que certains n'étaient pas prêts à croire qu'une femme puisse supporter un amour de ce genre – quand d'autres n'imaginaient pas même l'intéressée capable de renoncer à un amour aussi puissant pour un simple ultimatum. Je n'étais d'accord avec aucune de ces deux hypothèses, naturellement.

Je me creusai la tête vainement sur ce sujet insignifiant pendant un moment, heureuse pour une fois de réussir à tenir à distance tous mes problèmes. J'avais toujours conféré ce pouvoir à la musique, celui de permettre à la fois de tout oublier et de se remettre en question. Les morceaux continuaient de défiler les uns après les autres, tous issus d'une génération dont ils étaient les derniers témoins. Le talent de ceux qui les reprenaient était presque supplanté par la puissance innée des textes et de ceux qui les avaient écrits. Comme si leur ombre planait au-dessus de cette estrade, en cette soirée électrique.

J'en vins à me demander si la chaleur ne me faisait pas divaguer – l'aura de la foule commençait vraiment à devenir oppressante. Je n'aurais su dire depuis combien de temps je me trouvais là – peut-être une heure ou deux, à en juger par la manière dont se comportaient des gens originellement sobres. Le leader s'était déjà débarrassé de son chapeau et de ses bretelles, et à ce train-là, la chemise n'allait pas tarder à y passer. Je n'avais aucune envie d'assister à ça, et il était plus que temps que je retrouve N.J.

J'avais bon espoir de ne pas passer toute la nuit ici – le flux d'adrénaline qui m'avait boostée jusque-là commençait à refluer lentement. Ce n'était pas dans mes habitudes de faire le mur après les journées que je me coltinais – et Dieu seul savait à quel point celle-ci avait été chargée. Le problème, c'était que je n'avais aucune idée de l'endroit où il pouvait bien se cacher.

Après un moment à le chercher dans le vaste espace, je revins sur la plateforme sans déceler le moindre signe de sa présence. Je poursuivis ma progression sur les passerelles supérieures, commençant à paniquer. Malgré le temps incalculable passé à faire le chemin dans un sens puis dans l'autre, je dus me résoudre à cesser mes recherches brutalement.

Il ne pouvait pas m'avoir tout simplement abandonnée ! Je repartis en direction de la première passerelle et me penchai par-dessus pour constater... la disparition de notre embarcation. Eh bien si, il l'avait fait ! J'étais perdue, seule en plein milieu hostile, et ce connard n'avait rien trouvé de mieux que de me laisser en plan !

Une boule commença à se former dans ma gorge, alors que mes poumons peinaient à se gonfler dans ma cage thoracique pour me fournir l'air dont j'avais besoin. L'eau qui s'accumulait à la lisière de mes cils et les picotements qui faisaient tressaillir mes paupières ne semblaient pas prêts à me laisser un semblant de répit. Oh chiottes ! réalisai-je. Ne me dis pas que je suis en train de pleurer pour ça...

Et pourtant, c'était bien le cas, j'en lâchai même un sanglot nerveux. Je n'aurais su dire comment j'avais pu me laisser submerger par la situation d'entrée de jeu, mais les faits étaient là : j'étais dépassée par les évènements. Trop de pression et trop d'émotions accumulées en quelques heures à peine, sans aucun repère auquel me raccrocher. Je venais d'avoir un premier avant-goût de ce dont était capable la personne avec laquelle j'allais devoir partager mon quotidien dans les semaines à venir, et le constat n'était guère reluisant. Que n'aurais-je donné pour être quelqu'un d'autre à ce moment précis...

Media : Temporary Bliss, The Cab.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant