3. HOUSE OF THE RISING SUN (PARTIE III)

893 163 30
                                    

Un problème de plus à gérer, gémis-je intérieurement. Comment allais-je faire pour mener ma trahison à bien s'il avait déjà quelqu'un dans sa vie ? En admettant même qu'elle n'était qu'une fille de passage à laquelle il n'avait promis la lune que pour une nuit, je n'avais aucune envie de briser le cœur de qui que ce soit. En plus, elle avait l'air tellement fragile sous ses dehors sexy et pleins de vie...

Cela ne fit qu'accroître mon exaspération envers N.J. N'aurait-il pas pu se contenter de simplifier les choses en ne s'encombrant pas d'une amourette non réciproque ? Car je l'imaginais mal se comporter comme ça avec moi s'il considérait vraiment avoir déjà quelqu'un dans sa vie.

Le ridicule de la situation ne m'échappait pas. Je ne manquais pas de culot d'oser lui reprocher de me donner du fil à retordre, alors que je m'apprêtais à lui faire une crasse pareille ! Mais ça m'énervait de voir qu'il se comportait comme... comme un mec. Non pas que je sois jalouse — ce n'était pas mon style, après tout. Mais qu'est-ce qu'il m'énervait, quand même...

Nous prîmes tous les trois place autour de la grande table, où s'étalait tout ce que j'aurais pu rêver d'avaler au petit-déjeuner, du sucré au salé. Bien que j'eusse toujours vécu dans la haute société, l'accès à toutes ces denrées ne m'avait jamais semblé naturel et indigne d'attention. Au contraire, j'étais sidérée que nos ancêtres aient eu la jugeote – pour changer – de préserver notre diversité alimentaire en créant ce que nous appelions aujourd'hui encore les Centres de Culture. Chaque camp avait réquisitionné celui qui était implanté au milieu de leur territoire respectif pour subvenir au besoin des deux peuples. Les bâtiments qui les abritaient étaient les plus impressionnants et les mieux gardés de l'Île. C'étaient eux, les véritables nerfs de la guerre. Quiconque s'emparait des deux Centres était certain de sortir victorieux de n'importe quelle apocalypse.

— J'ignorais qu'une tartine de pain pouvait être aussi passionnante, lança N.J. alors que j'avais suspendu mon geste pour réfléchir.

Je lui aurais bien renvoyé une répartie de mon cru, mais avec sa mère dans les parages, je préférai m'abstenir.

— Votre soirée s'est bien passée ? nous interrogea celle-ci en lançant un regard d'avertissement à son fils.

— Je dois avouer que je n'imaginais pas Enji si avenante, répondit celui-ci en me destinant un sourire qui confirmait l'inverse.

S'il voulait s'amuser un peu, j'allais lui montrer que je pouvais moi aussi être très forte au jeu des sous-entendus.

— Et je dois avouer que N.J. a une manière bien à lui de briser la glace, renchéris-je en lui retournant son sourire. Il est incroyablement doué pour esquiver les problèmes.

— Je n'ai aucun mérite à ça. C'est vrai, ce n'est pas comme si tu essayais de m'en causer, rétorqua-t-il du tac-au-tac.

Je reniflai, conservant un sourire que la situation ne faisait que renforcer.

— Tu sembles tellement mature...

— À vingt-et-un ans, encore heureux, fit-il en haussant les épaules.

Solara posa sa main sur mon bras, affichant une expression un peu perplexe suite à notre échange, qui n'avait de normal que l'apparence.

— Toi, en revanche, qu'est-ce que tu es sérieuse pour ton âge ! souligna-t-elle avec compassion.

— Je crois qu'on serait surpris de savoir les décisions irréfléchies qu'elle peut prendre, contra son fils en me scrutant toujours attentivement.

— Mais à toute décision irréfléchie, il y a son lot de conséquences, affirmai-je en abandonnant mon couteau sur la table pour poser mon menton sur mes deux mains jointes. On peut se retrouver dans des situations désespérées qui nous font nous demander pourquoi nous accordons notre confiance à certaines personnes.

— Et des fois, on se rend compte qu'on dramatise un peu les choses, ajouta-t-il en avalant une tranche de bacon.

Je repris mon couteau en m'apprêtant à lui ordonner de la fermer, mais sa mère eut la prévenance de me devancer.

— Très bien, je vois que le contact a été établi, en tout cas...

Elle soupira, loin d'être dupe de nos messages implicites. Je n'étais pas d'humeur à perdre la partie, cela dit – mode « sale gosse » enclenché. Je plantai donc mon regard dans celui de son fils et désignai Davina, qui passait et repassait dans les différents couloirs, d'un signe rapide et discret de la tête

— Je crois que N.J. a le contact assez facile, en effet.

Je ne détournai pas une seule seconde les yeux de la beauté de son visage, pas même altérée par le bref sursaut de colère qui le traversa. Il remit rapidement son masque d'indifférence mêlée d'insolence.

— Tu ne peux pas te plaindre, de ce côté-là. Dommage que je n'étais pas d'humeur à pousser la chansonnette.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant