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-Tu devrais revoir la transposition des trompettes dans ce morceau? La noter en Do, à ce moment, est assez risqué tu ne crois pas?-Même si pour ce passage, nous avons recours à un orchestre symphonique, je reste sur mon idée première. La tonalité des trompettes est plus intéressante si elle est jouée en Do. De toute manière, nous ne parlons que de tonalité majeure, pourquoi s'en inquiéter autant?

Éric, assis sur la scène du grand théâtre de la ville, mordillait son stylo, retravaillant sa partition une énième fois. De là où il se trouvait, il pouvait apercevoir les parterres de sièges en velour grenat et les balcons aux bordures ciselées. Le décor était propice à l'inspiration. Miguel, son collègue et ami depuis les bancs de la fac, lui prêtait main forte pour achever la partition d'ici la fin de la journée. Ce n'était pas gagné en vue des ajustements qu'il fallait superviser mais ils en voyaient presque le bout. Cette feuille de papier, où des blanches et des noires dansaient au fil des gammes, serait la dernière composition qui finaliserait la bande-annonce qu'on lui avait commandée.

-C'est important Éric! Comment veux-tu que les trompettistes transposent facilement les notes de la partition alors que tu leur sors un Do?-Ils s'entraîneront et mettront le temps qu'il faudra.

Le musicien se leva promptement et s'approcha de l'unique instrument encore présent sur scène. Les répétitions de l'orchestre symphonique l'avaient épuisé. Dans son esprit, tournaient les violons, soufflaient les vents et résonnaient les timbales. Alors pour calmer son esprit agité, il entama au piano une mélodie en adagio. Miguel annota quelques détails sur les feuillets et les regroupa.

-Il serait peut être temps de donner un nom à ce morceau, tu ne crois pas Éric ? -J'y ai déjà réfléchi.-Ne te fais pas prier, je suis tout ouïe!-Luminescient, déclara solennellement Éric tout en pianotant.-Tu ne veux pas dire « Luminescent » plutôt?-Non. C'est Luminescient et rien d'autre. C'est décidé.

Miguel haussa les sourcils mais ne pipa mot. Son ami jeta un coup d'œil à sa montre et cessa l'intermède musical. Il fallait qu'il la voit. Il le voulait, elle lui manquait déjà. Cela faisait à peine deux jours qu'ils ne s'étaient vus mais c'était deux jours de trop pour lui. Alors le musicien se força à terminer son morceau malgré la fatigue accumulée. Il retravailla d'arrache-pied la symphonie, écrit de nouveau à même la partition et sifflota l'air final. Tant et si bien que Miguel cessa toute activité et prit conscience de la frénésie de son ami. Le connaissant, il devait sûrement y avoir une histoire de femme là-dessous.

-Allez... File! Lui dit-il après quelques temps d'observation.-Non, il reste des arrangements à faire au niveau des...-Éric, te fais pas prier. Vas y, je vais terminer, rassure-toi.-Ah..Merci! Souffla-t-il soulagé.

Éric se précipita vers la sortie du théâtre, puis fila droit vers sa rutilante voiture qui vrombrit au quart de tour, lui obéissant au doigt et à l'œil. Le trajet passa à une vitesse affolante; aux yeux d'Éric, les feux rouges devinrent invisibles et les panneaux facultatifs. Le bâtiment de sa petite amie se profilait au loin, il appuya alors sur le champignon. Miguel avait sans doute eu raison de le libérer plus tôt que prévu, elle lui manquait vraiment. Que lui avait-elle fait, cette petite sorcière, pour que le charme opère plus chaque jour? Le musicien réfléchit tout en se garant non loin du bâtiment.

Finalement, elle n'avait rien fait d'exceptionnel, outre rester elle même. Une jeune femme douce et aimante, d'une simple générosité et dotée d'un certain talent. C'était sa Lucie. Sa Luminesciente Lucie. Éric profita du passage d'une vieille dame pour pénétrer dans le hall. Cela lui évitait de faire le pied de grue devant l'interphone et cerise sur le gâteau, ce serait une véritable surprise pour elle. Ravi à l'avance de revoir le doux visage de Lucie, il monta allègrement les escaliers. Le coeur battant et le sourire aux lèvres, il s'engagea vers la porte. L'excitation à son comble, il sonna. Les pas feutrés provenant du studio se faisaient de plus en plus distincts. Le bruit du silence et du verrou qui saute, puis la vision d'un ado aux cheveux blonds en bataille. Pas vraiment ce qu'il attendait!

-Ouai, c'est pourqu...

Interdit, Maël se mordit la langue lorsqu'il reconnut le compagnon de sa colocataire. Le froncement de ses sourcils fut très éloquent. Quelle poisse! C'était bien la dernière personne qu'il voulait voir en ce moment! Comme le sale gosse qu'il était, il ne se priva pas pour claquer la porte au nez du musicien.Et puis quoi encore, il allait se gêner tiens!

Peter PanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant