Chapitre 5

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La première chose qui m'a frappé c'est sa maigreur. Peut-on être aussi maigre et en vie ? Je suppose vu que j'en ai la preuve devant moi. Je me suis installé sur la chaise posée près d'elle et me retient de lui prendre sa main. Je croise les bras et tente au maximum de ne pas la regarder ce qui est très compliqué pour moi. Du peu que j'ai pu observer, elle semble avoir le regard vide. Sans vie. Son corps est présent mais son âme s'est éteinte. Elle ne regarde ni la télé, ni moi, elle ne fait que fixer la seule fenêtre présente dans sa chambre. D'ailleurs, cette dernière est tellement vide que ça en est presque glauque. Une télévision, un lit, une salle de bain, deux chaises, une table et un vélo d'appartement. Aucune vie à l'intérieur. Rien.

Ce qui m'a surpris également c'est l'absence de perfusion. N'est-elle pas censée recevoir des soins ? Au moins l'alimenter par perfusion ? Je ne comprends pas ce choix de ne pas lui en avoir mis... Je reste les bras croisés, poings serrés à regarder la télévision sans vraiment la voir. Je me sens tellement impuissant face à la situation et ça me frustre énormément. Je ne sais pas quoi faire pour pouvoir soulager ne serait-ce que d'un millième sa douleur. Pourrait-elle un jour guérir et passer cette épreuve qui semble insurmontable ? Je ne pense pas au vu des nombreuses cicatrices présentes sur son visage. Bon sang que lui a-t-il fait ? C'est simple, il l'a marquée à vie. Le jour où elle voudra passer à autre chose, il lui suffira d'un coup d'œil au miroir pour replonger dans son cauchemar...

A midi trente pile, une femme est entrée pour déposer un plateau avant de repartir aussi vite qu'elle est arrivée. Pour autant, Allis n'a pas bougé d'un poil. S'est-elle alimentée depuis qu'elle est ici ? Est-il possible de rester une semaine sans rien manger ? Je sais que boire est essentielle et que l'on peut rester trois jours sans boire mais qu'en est-il de se nourrir ?

Pas longtemps après, Stacy est venue un grand sourire aux lèvres et avec son éternel bonne humeur avec, à ses côtés, Harone qui affiche un sourire plus discret.

_ Alors qu'est-ce qu'on a de bon à manger aujourd'hui ? s'exclame-t-elle tout en ouvrant le couvercle du plat principal. Beurk, des choux de bruxelles ils veulent ta mort ici c'est pas possible !

Je vois l'ombre d'un sourire sur le visage d'Allis et je ne peux m'empêcher de ressentir de la jalousie vis-à-vis de Stacy. J'aimerai tellement être la personne qui pourra l'aider à guérir mais j'ai l'impression que sa meilleure amie sera plus apte à le faire. Je pense être égoïste et hypocrite à rester auprès d'elle. Je me lève et quitte la pièce pour marcher d'un pas rapide jusqu'à la sortie. J'ai besoin d'air frais. J'étouffe à l'intérieur ça devient insupportable. Pourquoi suis-je ici ? Je l'aime c'est une évidence mais si je l'aimais réellement alors je la laisserai tranquille. Je suis à l'origine de tous ces maux. Je l'ai détruite et maintenant quoi ? Je viens admirer le spectacle de mon chef d'œuvre ? Je suis d'un ridicule.

Je m'accroupis sur le parking tout en me prenant la tête à l'aide de mes deux mains. J'ai envie d'hurler, de frapper et de me blesser autant que j'ai pu la blesser mais rien ne sort. Tout reste à l'intérieur.

_ Hey, m'interpelle une voix masculine que je reconnais instantanément mais qui ne me fait pas bouger d'un pouce. Tout va bien ?

Je ne réponds rien et ne prends pas la peine de le regarder. Je libère ma tête et me relève. Comment ça pourrait aller quand celle que j'aime se trouve dans une souffrance abominable et que je ne lui sers clairement à rien ? Je me sens complètement démuni face à la situation. Je ne m'attendais pas à la voir dans un tel état. J'ai parlé de sa maigreur mais j'ai omis de parler de toutes les blessures apparentes en plus des cicatrices. J'ai fait l'impasse parce qu'après deux semaines de calvaire et une semaine où elle a refusé de me voir, je ne pensais pas la retrouver dans un tel état. Elle portait un gilet et son drap était monté au niveau de sa taille donc les seules parties qui ont été visibles ont été son cou, son visage ainsi que ses mains. Rien qu'en la revoyant j'en ai froid dans le dos.

_ Elle a besoin de toi, lâche-t-il après un long silence alors que cette fois je prends la peine de me tourner vers lui tout en plissant les yeux.

Comment peut-il dire ça ? Ne connait-il pas toute l'histoire ? Ne sait-il pas que ce Marc a commencé son obsession pour elle depuis qu'il l'a vu à la télévision lorsqu'on a annoncé la liste des sélectionnées avec les photos associées ? C'est de ma faute. Tout est de ma faute. J'aurai dû être courageux et aller parler avec elle. J'aurai du...

_ Je ne crois pas qu'elle ait besoin que son bourreau soit auprès d'elle.

_ Son bourreau ? interroge-t-il.

_ Tout est de ma faute Harone. Absolument tout.

Je serre les poings et les yeux. Je n'arrive pas à croire à l'enchainement des événements. Comment une simple absence de courage de ma part a pu avoir des conséquences aussi désastreuses ?

_ Tu ne peux pas contrôler ce monde Declan. Tu n'es en aucun responsable de son malheur retire toi ça de la tête ! Tu m'entends ? Tu ne pouvais pas prévoir que ce Logan ou Marc ou peu importe comment il s'appelle allait être obsédé par elle. Vous avez quand même retrouvé des photos d'elle placardées sur tous les murs de son appartement ! C'est un psychopathe !

Je pousse un long soupire avant de détourner les yeux et de m'assoir sur l'un des poteaux présents un frisson de dégoût me parcourant le corps. Je suis bien au courant de ça pourquoi se sent-il obligé de me rappeler cette horreur ? Stacy et moi-même sommes partis voir par nous-même son appartement et si Stacy, au bout de cinq minutes, a couru dehors pour vomir, je suis resté le plus longtemps possible pour essayer de deviner le quart de ce qu'elle a pu subir. Normalement, nous ne sommes pas censés avoir le droit de « visiter » la scène du crime mais comme je suis le prince de Monaco ils ont fait une exception. Mais sinon, tout ce qui est en rapport avec l'affaire a été classée confidentielle. Ils n'ont rien voulu nous dire sur ce qui s'est passé. Absolument rien. Et, peut-être que ne pas savoir c'est le pire. Tout ce dont nous somme certain c'est que cet homme –le terme monstre serait plus approprié- a eu le coup de foudre pour Allis le jour où il a vu passer sa photo à la télévision et quand il a entendu parlé du fait que nous cherchions des gardes supplémentaires pour cet évènement il a tout de suite postulé pour être au plus proche d'elle. C'est d'ailleurs lui qui m'a convaincu de la faire revenir lorsque la première fois elle a quitté la sélection pour rejoindre sa famille à l'annonce du cancer de sa petite sœur. La police a d'ailleurs retrouvé une facture d'un détective privé et qui est à l'origine de certaines photos prises. Les plus perverses ont été directement prises de son appareil photo à lui. Rien qu'en y repensant j'en ai froid dans le dos.

_ C'est trop dur de la voir comme ça, j'ajoute après un long silence.

Il vient se poster à côté de moi en regardant un point invisible au loin.

_ Trop dur hein. C'est ironique quand on sait que tu es ici dehors et qu'elle est enfermée entre quatre murs depuis presque un mois. Deux semaines à subir une maltraitance dont on ne pourra jamais imaginer la réelle douleur qu'elle a subi car, je suis sûr que, c'est encore pire que ce que l'on pense et une semaine ici dans une chambre sans vie. Mais effectivement c'est trop dur pour toi.

_ Ce n'est pas ce que j'ai dit, je contre. C'est juste qu'il y a une raison pour laquelle elle n'a pas voulu me voir au départ. Non ? Pourquoi j'insiste ? Pourquoi je lui fais subir ça ?

_ Declan, si la femme que j'aime se trouve à l'hôpital et qu'elle accepte de me recevoir alors je resterai auprès d'elle à chaque seconde de ma vie. Si elle a dit oui c'est qu'elle estime qu'elle a besoin de toi et ce n'est pas quand elle en a le plus besoin que tu vas la lâcher. Et je sais qu'au fond tu le sais ! Elle était dans un état au départ qui a fait pleurer Stacy tous les jours et qui se réveille la nuit pour m'appeler au téléphone car elle ne pense qu'à ça et en fait des cauchemars. Je pense que lorsqu'on aime une personne on ne veut simplement pas lui montrer ou assumer quand on est au plus bas. Je pense qu'il ne faut pas le prendre personnellement et profiter du fait que maintenant elle te crie son aide pour saisir l'opportunité et lui montrer à quel point tu l'aime. Parce que je peux voir dans tes yeux l'amour que tu lui porte. Cependant, parfois il faut savoir mettre sa propre souffrance de côté pour aider les personnes qui nous sont chers. (Il pose une main sur mon épaule). Arrête de penser, c'est quand on pense trop qu'on oublie d'agir.

Et il est reparti à l'intérieur.

Si aujourd'hui Allis venait à me reposer la question de savoir si j'ai des amis, je lui répondrais que oui. Un seul. Harone.

Le Prince DéchuWhere stories live. Discover now