ፈᏂᏗᎮᎥᏖᏒᏋ 5

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- Super. Le sol vient de me manger. J'adore, on peut repartir maintenant ?

Les garçons lèvent les yeux au ciel, époussetant la terre qui s'était accumulée sur leurs vêtements en tombant. À vrai dire, on s'est tous fait avalés par le sol au final, on n'en a juste pas fait tout un plat comme Jisung. Au moins, il a le mérite de détendre un peu l'atmosphère tendue.

Je me redresse en remettant dans ma poche l'une des armes que Changbin nous avait fabriquées qui était tombée de ma poche dans ma chute, et je manque de retomber quand mon regard croise celui de la statue en face de moi.

Les Trois Moires. Chacune est installée sur une des portes qui ornent l'Entrée du Jugement, le seul œil qu'elles possédaient pour elles trois se trouvant sur celle du milieu. J'ai l'impression que, même dans la pierre, elles m'observent, me lorgnent du regard comme si j'étais le prochain fil qu'elles allaient couper. Car oui, c'était ça leur rôle dans la Grèce antique : elles se passaient cet unique œil pour voir l'avenir pour ainsi déterminer le moment de la mort des mortels et couper le fil de leur vie.

Je n'aperçois aucun objet coupant à proximité des statues, alors je me redresse et m'avance en direction de la première porte. Les garçons me suivent sous les protestations de Jisung, mais à peine sommes-nous arrivés devant les portes qu'une voix semble s'échapper de la statue du milieu, Clotho.

- Ô malheureux voyageur...

La statue de droite, Lachésis, continue :

- ... à l'entrée du fil, pose le pied...

Celle de gauche, Atropos, termine :

- ... mais pour avancer, tu dois offrir ta vérité.

On sursaute presque tous en même temps. Entendre des statues parler ne nous était jamais venu à l'idée, alors il est vrai que ça nous a quelque peu effrayés. Malheureusement, elles n'ont pas terminé.

- Tout mensonge ici devient oubli.

- Tout oubli devient blessure.

- Et toute blessure tisse la fin.

Et c'est ainsi qu'elles se taisent à nouveau, silencieuses comme si rien de tout ça n'était jamais arrivé. On se lance tous un regard à tour de rôle, avant que je ne me décide à m'avancer un peu plus en direction de la porte du milieu en déglutissant difficilement. À peine ai-je posé le pied sur le fil rouge qui orne le seuil de la porte, les voix des Trois Moires retentissent à nouveau.

- L'oracle voit trop, mais oublie l'ombre de son propre feu.

- Quelle vision t'as le plus rassuré...

- ... et pourquoi n'en as-tu jamais parlé à personne ?

Je sens mon corps entier se figer, comme pétrifié dans la glace. Ça commence déjà très compliqué... Je suis dos à mes amis et Hyunjin, heureusement qu'ils ne peuvent pas voir la rapidité avec laquelle mes yeux se sont écarquillés. Hyunjin... il est bien le seul dont je ne souhaite pas qu'il entende quoi que ce soit. Je prie pour qu'il se bouche les oreilles par soudaine envie, mais cette probabilité est si faible que je souris presque de désespoir. Le silence s'allonge, mon hésitation planant dans l'air comme un vent trop frais. Et puis, finalement, je me décide à ouvrir la bouche, ma voix plus tremblante que d'habitude.

- C'est... la plus récente. Celle où Hyunjin m'embrasse... mais que j'ai honte d'aimer car elle est liée à la fin du monde et à un homme banni.

J'expire tout l'air de mes poumons, espérant que les statues ne trouvent pas quelque chose à redire à mon aveu.

Soudain, le sol sous mes pieds se met à trembler, et la porte devant moi s'ouvre dans un lourd fracas. Je jette un coup d'œil hésitant à mes amis, en prenant bien soin d'éviter Hyunjin, avant d'avancer lentement. Je manque de marcher sur un os dont je ne préfère pas connaître le propriétaire, mais je finis par passer la porte lentement, avant qu'elle ne se referme lourdement derrière moi dans un écho lointain.

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À peine la porte du milieu refermée, Hyunjin se précipite à la suite de Felix, manquant de s'écraser contre la pierre. Il ne dit rien, mais sa respiration est légèrement plus rapide qu'à l'accoutumée. J'en viens à me demander s'il n'avait pas rêvé de la même chose que Felix, mais j'ai l'impression que je ne le saurai pas de sitôt.

Une nouvelle fois, les Trois Moires parlent :

- Le sang n'oublie pas ce que la guerre tait.

- Si tu devais choisir entre ton honneur et une seule personne...

- ... qui sacrifierais-tu ?

Je le vois se crisper légèrement ; pour un fils d'Arès, l'honneur n'est pas une chose avec laquelle plaisanter. Lorsque j'ai essayé de plaisanter là-dessus avec ses frères et sœurs, je me suis retrouvé au fond du lagon de la forêt. Malgré tout, il répond plutôt rapidement, l'air sûr de lui et pressé de rejoindre Felix.

- Je sacrifierai mon honneur sans hésiter. Parce qu'à quoi bon être un héros, si c'est pour gâcher des vies ?

Je suis assez surpris devant ce qui ressemble à de l'honnêteté dans sa réponse. C'est... admirable. Charismatique, aussi.

La porte s'ouvre dans le même fracas que toute à l'heure, et il s'y engouffre presque en courant sans nous lancer un regard. Certes, on n'est pas meilleurs potes, mais quand même. Il aurait pu au moins... je ne sais pas, mais c'est plutôt vexant.

Minho me regarde d'un air hésitant, avant d'avancer lentement en direction de la porte de droite, cette fois-ci. Peut-être qu'il s'est dit que ce serait moins compliqué, mais je doute que cela y change quelque chose au final.

- Certains secrets sont gravés dans le silence, même quand personne ne lit.

- Quel secret as-tu enterré...

- ... même à toi-même ?

C'est fou ça, la manière dont ils se figent tous avant de balancer une phrase charismatique. Enfin, c'est ce que je croyais, avant que Minho ne parle d'une voix rauque.

- Théo, fils de Déméter. Il ne l'a jamais su... mais la prophétie impliquait sa mort. Je me suis dit que... qu'elle se trompait, que peut-être en gardant le silence elle ne se réaliserait pas. Au final, je n'ai pas enterré la prophétie, mais bien lui.

Lorsque la porte s'ouvre je le vois essuyer ses joues, et je ne lui en veux même pas d'éviter mon regard.

Théo, je me souviens de lui. Il était plutôt bon ami avec Minho, mais je n'ai pu lui parler qu'à de rares occasions, pendant les entraînements ou les feux de camp. L'annonce de son décès avait amené une atmosphère un peu lourde sur le camp, et Minho faisait partie de ceux qui s'étaient isolés pendant un bon moment. Peut-être même le plus longtemps, en fait... et je sais maintenant la réelle raison.

Mon tour est enfin arrivé. Je ne sais pas si c'est le sentiment que je suis censé ressentir, mais l'angoisse dans l'attente à l'idée de passer devant ces statues m'a plus tué que de penser à quelle horreur elles pourraient potentiellement me demander. Et puis... personne n'est là pour m'entendre, de toute manière. Je décide de prendre la porte de gauche, étant donné que c'est la seule qui n'a pas été choisie.

- Celui qui rit fort cache parfois les cris qu'il n'a jamais osé pousser.

- Quand as-tu volé quelque chose...

- ... que tu n'avais pas le droit d'aimer ?

Je comprends enfin pourquoi tout le monde se figeait après chaque question. Moi, c'est mon cœur qui se pétrifie, comme s'il cherchait à se faire tout petit dans ma poitrine. Et ça fait très, très mal.

- Il y a... Minho. Je suis amoureux de lui, mais j'ai l'impression qu'il n'a d'yeux que pour Chan. Alors j'ai été gentil, je l'ai fait rire, je l'ai soutenu... et puis je l'ai embrassé, un soir où il pleurait. Je savais que je ne le méritais pas. Je n'ai jamais eu autant honte, ni autant espéré qu'il oublie. Ce qu'il semble avoir fait, puisqu'il s'est endormi juste après et n'en a jamais reparlé.

Finalement, comme Minho, je passe la porte en essuyant mes joues discrètement. Comme je le fais tout le temps, pour qu'on ne voie pas le fort Jisung faiblir.

Et la porte se referme derrière moi, emportant nos aveux avec elle.




𝐀𝐏𝐎𝐋𝐋𝐎'𝐒 𝐒𝐎𝐍 ᴴʸᵘⁿˡⁱˣOù les histoires vivent. Découvrez maintenant