49. Le Perce-Monde

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Gebo se noyait dans un liquide sombre et inconnu. Le goût de sang et de la terre se mélangea âprement dans sa bouche. Un torrent de fluides tièdes le ballota au point de lui faire perdre ses repères. Il fut malmené de gauche à droite, de haut en bas, complètement perdu dans les restes du Chuchoteur. C'est ainsi, tous sens brouillés, qu'il paniqua à l'idée de mourir. Submergé par cet environnement poisseux, il se lança dans une nage désespérée à la recherche de la surface. Sa paume brûlée transperça la mélasse pour rejoindre l'air libre. Il arracha une bouffée d'air putride et sombra de nouveau dans le charnier mouvant.

Une lymphe épaisse et écœurante se fraya un chemin dans ses narines pour l'étouffer. Le runellier se débâtit comme un diable pour retrouver sa liberté. Par chance, un tourbillon poussa son corps vers le haut et le courant s'apaisa. Il sortit la tête de cette substance brune pour flotter docilement sur des relents amers. Hors de danger, il dériva à l'aveugle, porté par un bouillonnement curieux. Dehors, de rares gémissements venteux se faisaient entendre. Gebo désencrassa son visage englué et inspira profondément avant d'ouvrir les yeux.

La première chose qu'il découvrit, ce fut un ciel ocre et dépourvu d'étoile. Puis, il discerna le sol en contrebas. Un hoquet de stupeur agrippa le thorax du jeune homme. Gebo flottait nonchalamment dans l'écorce d'un incommensurable arbre de chair. Irriguées depuis son sommet par des composants douteux, les proportions sinistres de ce chêne donnèrent le vertige à Gebo. Le courant descendant poussait inexorablement le runellier vers des branches sinueuses et dépourvues de feuilles alors que les rameaux coagulaient lentement pour former une croûte râpeuse. Encore quelques toises et il pourrait s'extraire de cette tourbe.

Guère loin de lui, on apercevait les autres ramifications, mobiles et purulentes qui se tordaient sous les bourrasques irrégulières. Le tronc principal, plus grand et plus tortueux que le plus influent des fleuves, plongeait depuis l'atmosphère pour laisser tomber lourdement de ses extrémités cramoisies. Se tenant plus proche des cieux que des racines, Gebo n'en croyait pas ses yeux. L'arbre poussait à l'envers, croissant depuis la voûte céleste et détirant vers une brume impénétrable et la croûte terrestre.

Très loin en dessous, une terre rouge et caillouteuse s'étalait à perte de vue. Le panorama, pauvre et dépourvu de végétation se clairsemait d'énormes blocs de roche jaune. Au-delà des carences en forêt, en arbustes et en plantes, c'est l'absence de vie qui choqua Gebo. Il ne reconnut pas le paysage ni les reliefs. Il entrevit un lac sombre aux allures serpentines ondoyer entre deux collines. Ces eaux vertes et singulières le mirent très mal à l'aise sans savoir pourquoi. Le territoire effrayant rongeait l'horizon avec une impudence rebutante. Ce monde plat et morne n'était pas fait pour les vivants. C'était des limbes inoccupés, remplis d'angoisse et vides de sens.

L'air moite et tiède peinait à gonfler les poumons du gyrovague. C'était donc cela l'Outre-Monde ? Un sentiment accablant lui ordonna de faire demi-tour illico, mais l'étrange portail au-dessus sa tête semblait définitivement résorbé. Gebo délaissa ses contemplations pour escalader l'écorce mortifère. Bien que fragile par endroit, la pellicule de squame supporta son poids. Il s'allongea, épuisé, à bout de souffle, sur cette plate-forme improbable et ferma ses paupières quelques instants. Il pouvait enfin savourer une maigre victoire, celle d'avoir réchappé de la bataille de Rochebois.

Lorsqu'il ouvrit de nouveau ses yeux, rien n'avait changé. Gebo s'était en réalité endormi plusieurs heures, harassé par les événements. Ses vêtements secs empestaient d'un remugle atroce et ses muscles douloureux entravèrent ses premiers mouvements. Il bailla, encore étalé et constata avec dépit ne pas avoir rêvé. Le même plafond ochracé surplombait ce monde étrange. Il fouilla son champ de vision, par réflexe, pour chercher son ami Benji. Un étau de tristesse lui broya la poitrine. Il vérifia rapidement les environs et remarqua dans la foulée la disparition de la sphère magique. La perle devait couler quelque part au cœur de l'arbre charnier.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang