55. Vous avez eu votre chance

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Le soleil de ce premier jour d'hiver refusait de percer les nuages au-dessus du monastère. Le froid cinglant et la lumière grise offraient à cette aube une dimension triste et fuyante. C'était comme si les cieux cherchaient à minimiser l'existence de ce moment. Le panoptique de Lula n'avait jamais semblé aussi fade qu'en cet instant. Les gouttes légères fouettaient l'air et les malheureux qui marchaient sous la pluie. Peut-être était-ce l'absence de kimonos bariolés dans la cour principale, peut-être était-ce la nouvelle méfiance de Sandre à l'égard des runelliers. Le résultat apparaissait le même, les ardoises grises et les hauts murs de pierre ne la rassuraient plus.

Sandre, Bleiz et Eliphas quittèrent la bibliothèque sous la bruine agaçante pour rejoindre le patio. Le Vénérable et sa canne se pressèrent en direction de la herse et de son pont-levis. Bleiz et son nouvel écuyer, le Mulot, tournèrent à droite pour rallier les propylées. Sandre hésita. Devait-elle confronter son mentor? Ou prendre ses cliques et ses claques ?

Kaliban la rattrapa rapidement pour lui faire oublier son faux dilemme. Le généroi, qui s'était éclipsé dans un recoin du reliquaire, lui proposait un magnifique arc long. Il le tendit à la runellière sans forfanterie, aucune. À la vue de l'arme, la Louve-Cornue tournoya dans la tête de Sandre. La jeune femme, surprise de l'agitation, s'approcha du bel objet pour mieux l'inspecter. Elle l'étudia avec minutie avant de comprendre ce qui clochait.

L'arc dégageait une énergie semblable à la corne de Deydia. Sandre n'avait pas revu l'attribut divin depuis sa découverte dans le reliquaire, quelques semaines plus tôt. La runellière scruta le bois ciselé et l'entrelacement de motifs runiques. Les extrémités se bardaient de ramifications naissantes et la corde rouge, si fine et presque imperceptible, lui arracha une moue curieuse. Sans savoir comment le décrire, l'arme lui paraissait bien familière. Sandre tendit le bras pour agripper la poignée de l'outil, avant d'hésiter. Ce n'était pas le moment de déclencher une nouvelle vision.

— Je pense, commença Kaliban, que la corne de Deydia n'a plus rien à te montrer. Il est temps de la retourner à sa propriétaire.

— La corne ? C'est la corne ?

Il acquiesça sobrement. Elle l'interrogea.

— Comment est-ce possible ?

— J'imagine que c'est dans l'ordre des choses. La grande déesse cherche juste à vous protéger. Tu en auras besoin pour affronter les épreuves à venir.

Sandre le remercia. Il demanda.

— Tu sais t'en servir ?

Vexée par la question, elle agrippa l'arc. La chair de poule remonta brusquement le long de son bras alors qu'un râle de satisfaction s'échappait de sa poitrine. Un seul mot lui vint à l'esprit. Complétude. L'arme était parfaite. Sa main épousait les formes du bois souple. Quel régal ! Kaliban, heureux de pouvoir aider, lui adressa un sourire malicieux.

— J'imagine que le Vénérable n'osera pas te le reprendre. Après vos derniers échanges...

— Qu'il essaie pour voir ! tempêta Sandre.

— Ne le juge pas trop durement, s'il te plaît. Il a toujours fait de son mieux pour protéger les autres.

— Comme si tu t'en souvenais, répliqua la jeune femme, cinglante.

— Tu as raison. Je ne me rappelle pas tout, mais...

Une détonation coupa la discussion. Le terrain gronda et la tour du Vénérable bascula légèrement. Des ardoises grises chutèrent pour exploser sur le sol, juste à côté du généroi. Ils sursautèrent avant de s'adresser un regard inquiet. Des éclats de voix leur parvinrent depuis l'entrée du prieuré. Kaliban se précipita vers les cris et grimpa quatre à quatre l'escalier qui menait au sommet de la muraille. Sandre, rangea l'arc en bandoulière pour rejoindre Kaliban, le Vénérable et le reste des runelliers. Du haut des remparts, tous les moines, moineaux et instructeurs fixaient le domaine en contrebas. Intriguée, Sandre se pencha. Elle le regretta aussitôt. Le pont-levis encore fumant était tombé et de multiples assaillants s'efforçaient de le maintenir au sol. Le bruit assourdissant venait sans doute de cette première tentative d'intimidation des Cercles d'Or.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant