38. La détection forcée

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Le monastère de Lula n'était pas doté de tribunal. Le réfectoire avait, par conséquent, été transformé en un simulacre d'assemblée. Les tables, poussées contre les murs, laissaient place à des rangées de chaises branlantes qui donnaient sur le pupitre de l'accusé. Les moines allaient et venaient dans la salle avant l'ouverture du procès. La plupart attendaient les ordres de Camaël et patientaient sur le parvis du panoptique. Sandre remontait déjà l'allée en quête d'une bonne place. Elle entendait les kimonos chuchoter depuis l'entrée. Les disciples de Sigil peinaient à masquer leurs excitations et débattaient du sort de Bleiz. Punition ? Blâme ? Exclusion ? Serait-il livré aux sentinelles ?

Le soleil levé baignait cette grande salle rectangulaire. Les rayons chaleureux s'étiraient jusqu'au lutrin central. Bleiz ferait face à ses conséquences ainsi qu'à l'ensemble des moines. Sandre pesta en s'asseyant au premier rang. La lumière lui réchauffa la nuque alors qu'elle observait la pièce et les apparats minables déposés par les zélateurs de Camaël.

Si les disciples avaient pour mission de maintenir une forme d'équilibre dans le monde, leur idole, Sigil, risquait d'être déçue en ce jour. Aucun jugement impartial ne serait rendu. Camaël n'avait que faire d'une agression. Le géant d'ébène cherchait un moyen de discréditer le Vénérable. Elle et Bleiz lui servait cette opportunité sur un plateau d'argent. L'instructeur et ses partisans haranguaient les moines depuis leur arrivée. Sa ferveur convainquait. Le Vénérable peinait à asseoir son autorité et ses invités agressaient maintenant les membres de la communauté. Quelle que soit l'issue du jugement, il était temps pour les deux compagnons de reprendre la route.

Sandre détestait Camaël, parce qu'il était violent, mais aussi parce qu'elle ne parvenait pas à le cerner. Il y a quelques aubes encore, elle aurait remis sa vie entre les mains du Vénérable. Aujourd'hui, elle doutait de ses véritables intentions. Le vieillard dissimulait de lourds secrets dans l'enceinte du prieuré et protégeait même un ancien généroi. Comment se fier à un individu qui peut altérer vos pensées et vos souvenirs ? La colère faussait son jugement nouveau pour lui donner envie de disparaître. Kaliban ne pourrait sûrement rien lui apprendre de plus... Elle devait confronter le vieil homme dès que possible. Ils devaient partir avant que Camaël ne renverse le dernier rempart décrépi qui garantissait leur liberté. Adieu les guerres intestines ! Elle avait pris sa décision ! Il était temps de filer !

Ses pensées furent interrompues par un bruit sourd. Un gong majestueux résonnait depuis l'autre bout du monastère. Les éclatements retentissants furent rapidement accompagnés de claquements secs et de chants cristallins. Camaël sortait le grand jeu pour réveiller le tout Lula. Les battements lourds rythmaient le pas lent d'une procession aux échos dramatiques. L'orpheline se retourna pour voir, au loin, un cortège de moines drapé de noir et d'harmonie. La cacophonie irritante, mais juste avançait doucement. Les moineaux Enoï et Atéo ouvraient le bal en étarquant à bout de bras des oriflammes grandioses. Les banderoles oiseuses flottaient au front frais des vents glacés alors que de nombreux enfants frappaient au sol de grosses chaînes. Sandre leva les yeux au ciel, le spectacle aurait été magnifique en d'autres circonstances.

Les chœurs angéliques récitaient les runes comme une seule voix. Le cortège avançait un pas après l'autre, entre la déférence et l'excès. L'orpheline reconnut sans peine la mélodie chuintante. La complainte de Sigil berçait son séjour depuis ses premières aubes au prieuré. C'était la première fois qu'elle l'entendait aussi clairement. Le chant était mirifique. Aux chaînes fouettées s'amoncelèrent les cloches sonnées. Camaël prenait un avantage sur le Vénérable. Lui qui critiquait les traditions à tout va... Il réussissait un véritable tour de force en coupant l'herbe sous le pied du patriarche.

Bleiz émergea enfin derrière les enfants et les fanions multicolores. Son visage s'illumina en apercevant Sandre. Il avançait lourdement, chevilles et mains entravées par des étaux de fer. Sa peau avait la couleur du ciel par temps d'orage. Les bonzes l'avaient tabassé. Le cœur de Sandre se serra en devinant les silhouettes athlétiques de l'instructeur et du Frère Vrist. D'autres disciples de Sigil rejoignaient le cortège élégiaque à chaque foulée. Les kimonos hypocrites se massaient derrière le géant d'ébène qui arborait un sourire éclatant. Il était victorieux avant l'heure.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierWhere stories live. Discover now