16. Amulette porte-malheur

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Jodie discutait tranquillement dans la salle à manger avec Sandre qui sirotait son café accoudée au bar, la tasse entre ses paumes. La jeune femme avait dormi jusqu'à la mi-journée. Bleiz l'avait réveillé pour le déjeuner et elle avait bien meilleure mine que la veille. La tenancière avait été aux petits soins depuis son réveil et les deux femmes discutaient maintenant depuis plusieurs heures.

Si l'orpheline s'était confiée sur la mort de son père et la course poursuite avec les chimères, elle était restée évasive sur les raisons de leur voyage au hameau. Elle préféra également éluder leur séjour dans le temple, le pacte avec l'entité et leur incroyable coma de plusieurs mois près du gouffre des oubliés. Si la grosse dame n'était pas dupe, son instinct maternel et son empathie lui firent passer outre. Elle écouta longuement la jeune femme déverser ses émotions et la rassura même d'une accolade avant de lui remplir l'estomac de pâtisseries, de lard et de fruits.

Sandre avoua aussi à Jodie les différents sentiments qu'elle commençait à nourrir à l'égard de son compagnon, ce mélange de gratitude et de haine vis-à-vis de l'aventurier grandissait. D'une part, elle le tenait responsable d'avoir bouleversé sa vie et de l'entrainer dans une histoire abracadabrante. D'autre part, si Bleiz n'avait pas été là, son père serait mort sur la place de Tryï et elle serait en train de se dissoudre dans l'estomac d'une chimère, voire dans plusieurs estomacs.

Son discours était décousu, incomplet et parfois incompréhensible, mais Jodie ne posa pas de questions et laissa Sandre vider son sac. La chasseresse se laissa dorloter par la tenancière, même si l'attention inhabituelle portée à son égard la gênait un peu. Elle raconta son enfance dans le sud avant que son père ne l'emmène à la montagne et réalisa tout en parlant le poids nouveau de ne pas connaître l'identité de ses vrais parents. Si l'objectif n'était pas de se faire plaindre, elle réussit néanmoins à arracher plusieurs fois des larmes de compassion chez la tenancière. Jodie entendait des histoires tristes tous les jours. C'était une mission à part entière de son travail d'écouter les clients déblatérer leurs chagrins devant leurs verres. Mais la jeune femme était, par bien des aspects, plus innocente et plus touchante qu'un tas de vieux marins atteints de syphilis.

Sandre revint sur sa rencontre avec Bleiz puis sur la montée en puissance des migraines, des courbatures et des saignements de nez qu'elle cachait du mieux possible à son compagnon. Elle confia ses craintes sur son état de santé et son incompréhension face à ces pouvoirs qui se manifestaient dans son sommeil. Elle en profita pour s'excuser une énième fois. Leurs regards se croisèrent un instant et l'aubergiste décida de remonter le moral de sa cliente en la taquinant.

— Tes yeux sont magnifiques ma belle, on dirait des rubis d'Aruna ! Tu dois faire tourner la tête des hommes ! Et ces cheveux si denses et si rouges !

Le plan fonctionna à merveille, car un grand sourire illumina le visage encore fatigué de Sandre.

— Ahah, Jodie, arrêtez ! Vous en faites trop !

— Sans rire ma belle. En plus d'être forte et intelligente, quelle femme magnifique tu fais. Tout va s'arranger pour toi ! Je n'ai aucun doute là-dessus. Ton ami semblait très inquiet pour toi, tu es entre de bonnes mains... d'ailleurs il a vraiment de belles mains, non ?

Sandre, surprise, avala son café de travers. La boisson brûlante submergeant sa trachée en provoquant une forte toux. La scène ne manqua pas d'amuser la tenancière qui ricana grassement.

— Respire donc ! Ça surprend toujours quand ce n'est pas le bon tuyau.

Sandre lui répondit entre deux expectorations, la voix éraillée.

— Mais Jodie, enfin...

— Ne fais pas l'innocente, comme si tu n'avais pas remarqué que c'est un bel homme.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierDonde viven las historias. Descúbrelo ahora