26. N'être qu'un homme

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Le feu de bois crépitait, la nuit tombait et la température chutait doucement en cette fin d'été. Le solstice d'hiver approchait, mais l'atmosphère, encore douce, facilitait grandement la vie des deux compagnons dûment enroulés dans leurs peaux de mouton. Les astres lunaires brillaient intensément de leurs faisceaux bleutés qui transperçaient la sylve dégarnie. L'homme aux cheveux en bataille était allongé sur le dos, les deux bras tendus au-dessus de lui. Il contemplait ses paumes avec dégoût.

— Yiks !

Seul le bris des bûches cédant dans le rougeoiement des flammes lui répondit. Le silence régnait autour du duo. Son acolyte, vautré, se tourna vers lui avec une certaine tristesse dans le regard.

— Pourquoi est-ce que tu t'obstines, frère. Ils ne sont plus là.

— Pour la millième fois Benji, ne m'appelle pas comme ça. Je ne suis même plus frère. Je ne suis plus rien sans mes pouvoirs. Je ne suis... qu'un homme.

La honte et le ressentiment rendaient sa voix tremblante.

— C'est toi qui le dis, grommela le jeune rouquin. On devrait chercher une solution plutôt que de s'apitoyer sur ton sort. Si j'ai quitté mon foyer pour te suivre, c'est pour t'aider.

— C'est surtout la culpabilité qui t'anime... Tout ceci est entièrement de ta faute et tu le sais très bien.

Gebo se redressa et soupira, il n'arriverait pas à trouver le sommeil tout de suite. Il attrapa la gnôle dans son sac et but une lampée avant de lancer une bûche dans le feu. Il passa sa main dans sa tignasse grasse. Ses cheveux avaient poussé ses derniers mois. Il gratta sa barbe crasseuse et perdit son regard morne dans les flammes dansantes. L'adolescent à ses côtés se recroquevilla, penaud :

— Je sais très bien de quoi je suis responsable, tu me le rappelles tous les jours de puis bientôt trois lunes. Tu as sacrifié Kami pour me sauver.

— Cela n'aurait jamais dû arriver.

— Pourquoi avoir accepté que je t'accompagne alors si tu me détestes autant ? Tu n'as pas besoin de moi pour capturer ces criminels...

Gebo resta muet. Il préférait éluder ce genre de conversation qui égratignait de plus en plus leur relation. Il ramena lentement ses jambes pour les agripper et poser son menton sur ses genoux, pensif. Ses cheveux le démangeaient, ils étaient huileux et sales. Il se gratta la tempe et offrit involontairement un nouveau sujet de conversation au Chevalier des thés.

— Pourquoi laisses-tu tes cheveux repousser ? Avec ta barbe tu as l'air méchant, je n'aime pas cela.

— Grandis un peu Benji, coupa sèchement l'homme autrefois affable.

Ses mots, aussitôt dits, furent regrettés. Gebo se tourna vers son compagnon et lui concéda une meilleure explication.

— Les moines se rasent la tête pour deux raisons. La première est religieuse, la seconde est d'ordre pratique. Tout d'abord, on coupe les illusions. La chevelure est un symbole de beauté, de tout temps, c'est un apparat de séduction. Nous...

L'ancien bonze hésita un moment et se corrigea. Il ne se sentait plus de s'exprimer au nom des runelliers.

— Les moines font le vœu de chasteté et se contentent donc de montrer leur véritable visage. C'est un rituel, où les plus jeunes rasent le crâne de leurs aînés, par respect, mais aussi pour leur rappeler leurs responsabilités envers la voie des runelliers. De la même manière, ils ne portent pas de bijou personnel autre que les chapelets de runes, comme celui que j'ai brisé pour nous sauver.

— Et l'autre raison ?

— Et bien, nous... hum... Ils voyagent beaucoup. Cela évite d'attraper des poux, des puces. Cela empêche aussi toute prise à un adversaire en corps à corps.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang