14. L'ombre onirique

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La forêt défilait à toute vitesse. Sandre courait. Elle devait rejoindre le village avant qu'il ne soit trop tard. Elle ne parvenait pas à trouver une entrée sûre. Elle y avait songé, réfléchi, et maintenant elle avait perdu trop de temps. Les gardes allaient la stopper. Elle devait les prendre par surprise, mais demeurait terrifiée. Elle ne savait pas se battre. Elle décochait certes plus vite que son ombre, mais l'arc n'était pas adapté aux ruelles étroites contrairement aux épées des fantassins.

Sandre franchit une ravine d'un bon souple. L'air frais du matin s'engouffrait dans ses poumons et des volutes de buées s'envolaient entre les arbres à chaque respiration. À ce rythme, elle arriverait en bas à la mi-journée.

Elle se forçait à ralentir l'allure lorsqu'un hurlement au loin l'inquiéta : les chimères. Elles sortaient de plus en plus souvent de leurs tanières et cherchaient à étendre leur territoire. Les combats entre meutes faisaient rage, mais heureusement quelques zones neutres subsistaient encore et Sandre avaient basé son itinéraire dessus.

Hier, la montagne était sa maison, la forêt était son terrain de jeu. Aujourd'hui, elle tressaillait à chaque bruissement dans les buissons, à chaque craquement de bois. Elle contournait chaque terrier, car un bosquet un peu trop sombre pouvait cacher une mort atroce. Même les ours rouges avaient préféré fuir face à ces nouveaux prédateurs. La vie n'était plus si douce et maintenant, Sandre se comportait comme une proie perdue dans la verdure alors que son père cuisait aux abords du désert.

Ils avaient tout fait pour éviter de prendre des risques, mais depuis plusieurs semaines elle et son père s'étaient clairement souciés de la prolifération des mutants à travers les rocheuses. Pendant des décennies, les chimères avaient vécu en retrait, plus loin au sud. Sandre s'interrogeait sur cette migration. Elle avait éclusé les livres d'histoire et des journaux zoologiques pour comprendre pourquoi, années après année, l'homme se retrouvait davantage confronté à cette menace.

Ibrahim, lui, pensait qu'une magie était à l'œuvre dans la montagne et que cela tenait les monstres à distance. Elle s'était moquée de lui pendant des années, car ses recherches alléguaient plutôt des mouvances de territoires liées à la pénurie de ressources. Les chimères ne parvenaient simplement plus à se nourrir sur leurs terres actuelles et élargissaient donc leurs terrains de chasse, déclenchant au passage des batailles d'appropriation de nouveaux secteurs.

Son raisonnement était bien plus logique que celui d'Ibrahim qui prétendait que la magie disparaissait. Elle avait toujours refusé cette hypothèse jusqu'à sa découverte dans la montagne. Ce vieux temple avec ses inscriptions bizarres sur les murs avait ébranlé ses convictions. Les dessins racontaient comment les immondes mutants furent chassés des galeries souterraines et comment l'ancien peuple de la forêt avait finalement payé pour l'abandon de ses générations difformes. Par l'affaiblissement d'un quelconque enchantement ou par le manque de nourritures, les monstres envahissaient son monde et son père allait mourir à cause d'eux. La rage grondait dans ses entrailles alors qu'elle approchait du but, elle allait le sauver !

Elle tourna à droite dans le dédale sombre du sanctuaire. Sa main effleurait la pierre tiède et jaunâtre, parcourant les inscriptions confuses sur les murs. Des échos de grognements se répercutaient dans les couloirs de façon irrégulière. Elle était sûrement suivie, mais n'arrivait pas à détacher son regard des étranges figures. Elle était frustrée de ne savoir décrypter ces symboles. Les graphèmes énigmatiques se composaient de traits, verticaux, horizontaux et de biais. Aucun arrondi et aucun signe de ponctuation n'aidaient au déchiffrage. Elle avait chaud et la sueur perlait de ses tempes pour lui piquer les yeux.

Sandre pesta. Un craquement sourd lui répondit dans les ténèbres, ce labyrinthe de roche tépide était bien terrifiant. La jeune femme tendait l'oreille en retenant sa respiration. Les courants d'air sifflaient dans les boyaux étroits et une odeur étrange lui enfla la narine pour lui donner la nausée. Elle décela un autre bruit, derrière l'écho régulier des grondements de la terre, un grattement résonnait dans la cloison.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierWhere stories live. Discover now