41. C'est pas juste !

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Les tambours et piaillements irréguliers envahirent la tour creuse. C'était comme si le cœur du Terrier se réveillait en pleine crise de tachycardie. Les cris et hululements des Sacripants enflaient et s'entrechoquaient sur les murs de pierre pour remonter vers la surface. Le soleil brillait à travers la plaque d'égout, lointaine, au-dessus de leur tête. La lumière se réfléchissait sur les reflets de la roche détrempée. Peut être avait-il plu, peut être était-ce la rosée, mais il était tôt. L'air humide et froid soufflait dans les galeries, mais toujours le flambier brûlait. Il était l'heure de se réveiller.

Le Chevalier des thés pandicula longuement. Le barouf des enfants perdus l'avait réveillé du mauvais pied. Gebo se relevait sur sa couchette. Leurs regards se croisèrent. Ils avaient mal dormi. Benji émergeait avec difficultés. Qu'il s'agisse du stress de l'Épreuve, de l'existence du Chuchoteur ou de cette nuit passé six pieds sous terre, la fatigue lui sciait les jambes. C'est dans ces moments-là que sa mère lui manquait. Non pas qu'il regrettait ses aventures, mais une chicorée et la douceur d'un foyer serait fortement appréciée en ce nouveau jour.

Gebo passa une tête dans le Terrier. Il n'était pas le seul. Au-dessus de lui, des dizaines de frimousses jaillissaient des alvéoles pétrées pour observer l'activité matutinale des Sacripants. En dessous de lui, les mômes entreprenaient de descendre les escaliers glissants tels des cabris pour petit-déjeuner. Une odeur de lard lui parvint aux narines. Les Sacripants ne manquaient de rien, même sous terre. Faffy et les Surfaciens devaient assurer un approvisionnement régulier des garde-mangers. Le boss et ses capitaines devaient nourrir toute une tribu ! Gebo se rappela l'étrange marchand et entremetteur, Aposocle. L'homme au pouvoir sinistre devait être au courant des manigances souterraines. Il protégeait Faffy et les enfants à sa manière, en gardant le silence et en fournissant des vivres frais.

Une tête blonde grimpait quatre à quatre les marches dans leur direction. Nouka les cueillit au pied levé. Elle souriait de toutes ses dents et jeta un œil intéressé au torse dénudé du Chevalier des thés. La jeune fille n'avait pas froid aux yeux, ce qui força Benji a rapidement se couvrir. Gebo salua la cheffe des Bâtisseurs avec bienveillance et enfila son sempiternel kimono de chasse, vestige d'une vie perdue.

— Dépêchez-vous, bon sang ! La cérémonie va commencer !

— Quelle cérémonie ? paniqua Benji.

— Tibéo ne vous a pas prévenu ?

Les deux compères se regardèrent, un brin paumés, avant de faire non de la tête. La jeune fille tout en nerf leva les yeux au ciel, ou plutôt, vers la surface. Elle pesta contre son frère et baragouina des insultes moribondes. Le boss avait pourtant chargé son jumeau de leur expliquer la teneur de cette journée ! «Il le fait exprès ou quoi?» Nouka fulminait. Tibéo était surement jaloux. Voulait-il les voir échouer ? Lumenn n'avait d'yeux que pour Gebo et son compagnon n'avait dieu que pour cette fichue luciole ! Leur arrivée n'apportait décidément que des tensions !

« Et moi dans tout ça?» ruminait-elle en observant le Chevalier des thés à la dérobée. Elle inspira un bon coup et reprit son calme devant les otages-invités-employés. Quelle situation bizarre ! Quelle idée de les soumettre à l'Épreuve ! Sans pouvoir, quel résultat Faffy espérait obtenir ? Peut-être voulait-elle simplement les humilier avant de les renvoyer chez eux ? Avait-elle prévu de les emmurer vivants ? Les interrogations tournaient en boucle sous la coupe au bol de Nouka. L'adolescente cogitait tellement qu'elle manqua une marche. Le Chevalier des thés la rattrapa par le bras. S'il n'avait pas la force brute de son frère, sa prise était ferme.

— Tu vas bien, Nouka ? s'inquiéta Benji.

— Euh... oui... oui...

La cheffe des Bâtisseurs attrapa la paume moite de son sauveur, confuse. Comme rarement dans sa vie, Nouka se retrouvait muette. C'était la première fois que le Chevalier des thés lui adressait la parole. Son timbre de voix était agréable et rassurant. Son visage dessiné et plutôt allongé se terminait par une très légère barbe blonde. Ses yeux tombant et rapproché lui donnaient un air niais, mais elle trouvait cela touchant. Son crâne, rasé de côté, dénudait ses oreilles vaguement pointues alors que de belles ondulations d'un blond vénitien chutaient devant ses iris verts teintés d'ambre. «Ce qu'il est chou», pensa la sacripant avant de se ressaisir.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierWhere stories live. Discover now