52. Résurgence

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Le Vénérable fit tinter son trousseau de clés avant d'ouvrir la porte de la bibliothèque. Sandre, curieuse, s'interrogea. Par Iori, pourquoi le Vénérable avait-il fermé l'entrée du bâtiment ? Depuis son arrivée au monastère, elle avait toujours trouvé les battants du reliquaire grands ouverts à tous, moineaux et kimonos.

Elle observa le patriarche traverser le sas pour rejoindre le bureau de Kaliban. Le claquement régulier de sa canne chryséléphantine n'avait plus rien de rassurant, que dissimulait-il ? Ils zigzaguèrent entre les hautes étagères bourrées de livres et dépassèrent la chambre d'enfant de Gebo. Sandre s'arrêta un instant et repensa à sa conversation avec le généroi disparut. Elle était sans nouvelle depuis, et comptait bien forcer le Vénérable à lui dire la vérité. Elle n'avait aucune idée de la manière, mais il allait tout le révéler ici et maintenant.

L'aïeul sentit son impatience et fuit son regard. Ses iris couleurs d'orage se détournèrent, pour évaluer le bureau du bibliothécaire. Il ignora les pans de velours, la dentelle, les biais, les replis et autres matériels de couture qui parsemaient le revêtement de bois. Le patriarche fit courir ses doigts sur le pupitre et s'arrêta sur le carnet d'Ibrahim. Le feuillet était ouvert en son centre. Il l'avait très certainement lu pendant leur séjour en prison. L'exarque tapota les pages noircies par l'écriture du père de Sandre et secoua la tête de dénégation.

— Ibrahim, il fallait que tu gardes un souvenir de ta vie passée...

Sandre se crispa. Cela faisait des lunes que personne n'avait prononcé le prénom de son père et pourtant, la douleur l'ébranla aussi fortement qu'au jour de sa mort. Les larmes lui montèrent, mais étrangement, elle ne se sentit pas esseulée. Son esprit se tourna vers ses aventures, vers Bleiz et vers Deydia, ce qui la réconforta. La Louve-Cornue lui poussa une vague de douceur inattendue. Son parasite divin n'était peut-être pas qu'un inconvénient, au final. La jeune femme essuya son chagrin du bout de sa manche crasseuse et confronta son hôte, déterminée.

— Vous connaissiez mon père ?!

— Nous étions inséparables autrefois.

Sandre se figea.

— Pardon ? Vous êtes un généroi ?

— Non, non, rien de cela. Je vivais bien à Epidor, mais mes fonctions étaient différentes à l'époque. J'étais le Grand Passereau et j'assistais Abraxas dans l'administration du pays.

Une étincelle de méfiance s'alluma dans la poitrine de Sandre. Elle adressa une œillade farouche au thaumaturge qui tenta de temporiser la sidération de la runellière avec une voix douce.

— Allons, l'empire n'a pas toujours oppressé les porteurs divins. A l'époque, j'arbitrai plutôt les négociations commerciales et tâchais de maintenir l'équilibre entre les régions. Les marchands de sable n'en faisaient qu'à leur tête... et c'est bien la seule chose qui ne changera jamais.

Un gloussement échappa au Vénérable et son regard se perdit dans les affres du passé. Alors que la jeune femme s'apprêtait à relancer la discussion. Le doyen de Lula poursuivit.

— Comment as-tu su ?

— Pour Kaliban ? demanda-t'elle.

Un long clignement de paupière lui confirma la question.

— D'abord, les pièces maudites dont parle mon père dans son carnet. Kaliban ne cesse de jouer avec... Ensuite, sa venue au monastère coïncide avec l'exil des générois. Et enfin, l'existence de son fils, Gebo, ou plutôt, l'absence de souvenirs liés à leur arrivée à Lula. Tout cela mis bout à bout... il était facile de percer les mystères du frère Kal. C'est un généroi.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierOnde histórias criam vida. Descubra agora