54. Je n'oublierai pas

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Le Vénérable s'approcha pour vérifier l'état de santé du généroi et de sa disciple. Kaliban, assommé face contre terre, était sauf. Sandre, allongée sur la pierre froide se réveillait pas. Davantage, elle refusait de revenir. Les yeux de la runellière roulaient sous ses paupières. Elle rêvait. Le thaumaturge tâcha de se faufiler dans les méandres de sa réminiscence, mais la déesse balaya son intrusion mentale d'une facilité déconcertante. S'il entraperçut de vagues souvenirs appartenant à Kaliban, mais ses nombreuses tentatives pour ramener la jeune femme échouèrent lamentablement.

En phase avec la Louve-Cornue, Sandre avait complètement verrouillé ses pensées. Le Vénérable essaya maintes fois de se reconnecter à l'esprit de sa discipline, pour toujours se retrouver aux portes de sa psyché. La runellière, avec ou sans l'aide de la divinité, avait érigé un dôme sombre, parfait et imprenable tout autour de ses secrets. La surface de la protection magique, sans faiblesse aucune, provoqua autant d'admiration que de frustration chez le patriarche.

— Par les dieux ! Tu vas te réveiller, oui ?!

Sandre ne broncha pas, mais Kaliban grogna. Le corps affaissé se releva en grommelant. Le généroi appuya sa main contre sa tempe pour en retirer une paume ensanglantée. Le choc semblait avoir ramené le malheureux à lui-même. Le bibliothécaire secoua la tête en grimaçant de douleur.

— Ma caboche... J'ai l'impression qu'elle va exploser...

— Kaliban, comment vas-tu ?

— Bong sang Eliphas ! Je t'ai donné mon accord pour m'hypnotiser. Pas pour m'utiliser comme un défouloir... J'ai mal... C'est encore pire qu'une gueule de bois à l'ambrefeu.

— Cesses donc tes jérémiades, Sandre est inconsciente. Elle voyage dans l'un de tes souvenirs.

Le généroi se crispa et redressa prestement.

— Lequel ?

— Je ne sais pas... J'ai aperçu la salle des cardinaux et Aggravin. Vous parliez de la Cabbale.

L'homme ferma son clapet, confus.

— Qui ça ?

— Par Iori... Cela m'apprendra à dissiper les mémoires à tout bout de champ, souffla le vieux monsieur.

— Si tu me rendais l'ensemble de mes souvenirs, je pourrais vous aider.

— Je pensais les avoir purement effacés. Je ne sais pas comment Sandre y accède.

— Tu sembles étonné qu'une fille, vaisseau d'une déesse surpuissante, puisse avoir des pouvoirs supérieurs aux tiens.

— Kaliban, je suis très sérieux. Je ne comprends pas.

— C'est une mémoriste innée, reprit le bibliothécaire. C'est dans sa nature...

Cette fois, c'est le Vénérable qui se figea, interloqué.

— Tout ce temps, tu étais conscient ?

Kaliban haussa les épaules.

— Conscient, lucide, piégé... Appelle cela comme tu veux. Tes pouvoirs ne sont plus ce qu'ils étaient mon vieil ami.

— Je suis désolé, je n'ai pas su te protéger.

Pour la première fois depuis des années, Kaliban arborait un air sérieux et grave. Il posa une main réconfortante sur l'épaule Vénérable qui s'obstinait à réveiller la runellière. L'échine du patriarche s'affaissa. Kaliban souhaitait apaiser les doutes du vieux magicien. Pour une fois qu'il pouvait prendre le rôle du sage, il ne s'en priva pas :

Les Orbes Divins I - La voie du runellierWhere stories live. Discover now