10. C'est toi le monstre

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La température baissait avec le déclin du soleil, Gebo n'avait pas bougé. La boue séchée craquelait sur le tissu de son ensemble et sa respiration profonde restait inaudible dans les coassements de la nature autour. Il était seul. L'impatient chevalier des thés avait été pris d'ennui et était rentré chez lui. Les yiks tournaient en rond sur les hectares du marais depuis le début de l'après-midi. Ils avaient fouillé chaque cache, chaque grotte, chaque buisson, mais aucun monstre à l'horizon.

L'atmosphère nauséabonde du marais masquait l'odeur de chaque bête. Le gaz du palud embrumait légèrement l'esprit de Gebo et sa respiration s'était accélérée, le forçant à méditer pour contrôler son souffle. Les astres lunaires, déjà bien visibles dans le ciel, prenaient une teinte purpurine et des reflets roses. Des feux follets apparaissent de temps à autre au-dessus des tourbières pour illuminer les flaques avant de se dissoudre en silence.

Aucun humain n'était passé par le marais de toute la journée. La peur du peuple, bien réelle, s'avérait même viscérale. Le monstre n'avait pas montré signe de vie, mais l'heure fatidique approchait alors que chutait la luminosité bleuie. Gebo maintenait le contact avec ses yiks mais fatiguait sérieusement. Explorer la région à travers les yeux de ses trois renards l'épuisait. Sa concentration vacillait régulièrement et il était souvent distrait par le bruit croissant de la faune crépusculaire en éveil.

Le vagissement des crocodiles se répercutait comme un écho de mare en mare, alors que leurs yeux brillaient fugacement aux dernières lueurs du jour. Les petits mammifères sortaient insouciamment de leurs terriers en ignorant l'œil vif des rapaces nocturnes. La maremme grouillait d'une nouvelle aura plus sombre et plus propice à la peur. Le soleil mourait doucement et les étoiles paraient maintenant la voûte céleste zébrée de nuages. Il faisait nuit.

Éloigné d'une centaine de toises de son maître, le plus petit des yiks s'était posé sur une vieille souche. Il observait les alentours. Il bâilla et pandicula félinement devant un étang. Les crapauds cessèrent alors de chanter et un silence de mort s'installa. Curieux, Kami se rapprocha timidement de l'eau stagnante. La surface placide commença lentement à se déformer et une ombre colossale perça le miroir verdâtre du bassin pour poser une énorme patte griffue sur la rive. La créature émergea lourdement de son cloaque limoneux pour s'ébrouer. L'esprit doré interpella ses congénères et alerta le clerc avant de se tapir dans les roseaux.

Le moine se concentra sur son lien avec Kami et observait le monstre à travers les yeux de son compagnon à fourrure. Il scruta le cryptide et saisit son carnet pour noter chaque détail avec minutie. Il ne fallait rien oublier. Il n'avait jamais vu un tel animal de toute sa carrière. Bien que ressemblant par de nombreux aspects à un ursidé, la créature avait une ossature complètement différente et une démarche bien moins fluide. Sa peau d'un bleu ardoise et tigrée de charron se mouvait flasquement sur la musculature massive de l'immense quadrupède.

Gebo tiqua sur la description du chevalier des thés, car l'ours dépourvu de poil arborait un cou fort et une tête profilée. Le rostre du cryptide et son dos semblaient recouverts d'une carapace spongieuse, mais l'obscurité gênait la vue des renards. Le runellier ordonna aux esprits de le suivre.

Les pattes du mastodonte étaient palmées et arboraient trois griffes d'ivoires. Un animal aquatique ? Une mutation magique ? Gebo explorait toutes les possibilités et nota que la queue du monstre ondulait tel un balancier lorsque celui-ci marchait. Sa forme aplatie de l'appendice supposait une utilité à la propulsion aquatique. Plusieurs nageoires dorsales discrètes se distinguaient sur le carnassier.

Gebo oublia un instant la gravité de la situation tant il était enthousiasmé par sa découverte. Un squale terrestre ? Un fauve aquatique ? Le runellier hésitait sur la dénomination appropriée. Une chose semblait sûre, cette créature était un super-prédateur. Elle endossait plus que sûrement la responsabilité des disparitions de la région. Il frissonna, espérant que les attaques étaient imputables à cet unique individu et renvoya deux de ses esprits dans leur monde pour mieux se concentrer.

Les Orbes Divins I - La voie du runellierWhere stories live. Discover now