27. La guerre aux trois visages (3/3)

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Florimond se réveille en sursaut et manque de tomber de sa chaise. Un flot de soleil radieux se déverse par les hautes croisées. Il frotte ses paupières encore à moitié scellées de sommeil et passe une main hébétée dans ses boucles. Le matin, déjà ? Il a dû s'assoupir.

Un aperçu à la ronde lui révèle une chambre luxueuse pourvue de tout le confort qu'un noble, même des plus exigeants, pourrait souhaiter. Au fond du lit voisin, Urbain Bérard s'agite sous une pile de couvertures dans un sommeil ponctué de gémissements. Le nom de sa femme revient sur ses lèvres, mêlé à celui de François. Ni son fils, ni le jeune page intrépide, ni l'austère seigneur de Château-Renault ne sont en vue et Florimond ne peut guère les soupçonner de se livrer à un douteux jeu de cache-cache à ses dépens. Que fait-il seul ici ? Où sont-ils tous passés ?

Il bondit sur ses pieds et grimace. Le mouvement brusque lui enflamme les côtes, vestige d'une rencontre trollesque. Son cou donne l'impression d'avoir tenté une intéressante contorsion au cours de la nuit. Des muscles dont il ignorait jusque-là l'existence protestent vigoureusement.

Florimond rassemble les événements de la soirée au milieu de bribes de rêves – ou plutôt de cauchemars. Une fois le passage refermé, les endormis ont repris leurs esprits. Il se souvient de la mine ravagée des deux gardes, des yeux horrifiés de la soubrette, des lamentations impuissantes de Jacques.

Le seigneur de Château-Renault a envoyé le page en mission. Il est revenu peu après avec une femme étourdissante, au port altier, un châle sur les épaules en seule concession à l'heure tardive. Des échanges, Florimond a déduit qu'il s'agissait de la sœur aînée du roi, Marguerite d'Angoulême. Sous ses ordres, une poignée d'autres nobles ont été tirés du lit – des conseillers, proches du souverain. À un moment, le capitaine des gardes s'est retrouvé mêlé à la discussion. Il était question de sûreté de l'état, de guerre, de rançon, d'espion, de trahison, d'honneur à laver, de secret à garder. Des palabres à n'en plus finir.

Florimond n'écoutait que d'une oreille ensommeillée, mais a compris qu'ils craignaient un élan de panique si la nouvelle de la disparition s'ébruitait. Tous ces beaux seigneurs ont convenu de lancer une offensive sans plus tergiverser, pour empêcher Blaise Fayet de s'échapper avec son royal prisonnier auprès d'ennemis de la France. Une avant-garde composée des premiers soldats qu'il était possible de rassembler dans la nuit irait dresser le siège de Candé, en attendant la seconde vague des renforts avec ses canons et machines de guerre.

Une fois la décision prise et les ordres donnés, Jacques a tenu à se recueillir auprès de son père, juste avant de repartir pour Bléré. Florimond et Guy l'ont accompagné en soutien, dans cette chambre où Urbain Bérard délirait d'un sommeil agité.

Florimond se souvient parfaitement du visage du jeune noble sous le halo mouvant des candélabres. Dans les traits tirés au charbon, il peinait à reconnaître la tornade brune insouciante qui l'avait renversé sur le palier de la bibliothèque. Ses cheveux se hérissaient en épis plus rebelles que jamais, mais sous l'ossature se profilait une tension de fauve. L'espièglerie vagabonde de son regard s'affûtait sur un objectif. Le menton dressé, la colonne roide, la mâchoire serrée : toute sa posture vibrait de la détermination d'un homme bien plus âgé. « Je ramènerai Léonore saine et sauve, père, » a-t-il déclaré d'une voix rauque de serment.

Le page à ses côtés s'est contenté de hocher la tête en appui évident, comme si les deux amis projetaient une partie de chasse. Au sérieux un peu pâle de sa figure et sans sa courte taille, Florimond lui aurait donné cinq bonnes années de plus.

Jacques a descendu un genou à terre et offert une prière à mi-voix. Florimond s'est posé sur une chaise pour délasser ses jambes un instant du sac à dos qui lui sciait les épaules, du trop-plein d'émotions, des longues heures d'une journée commencée au petit matin dans une forêt en bord de Loire.

Il secoue la tête. Ses souvenirs s'arrêtent là.

Tous ces vaillants seigneurs sont partis en guerre, avec trompettes et étendards. Sans lui. Qu'avaient-ils à se préoccuper d'un broyeur de couleurs boiteux ? Il ne sait pas monter à cheval, encore moins se battre à l'épée, pas même tirer à l'arc. Il ne lui reste qu'à rentrer au Cloux et attendre – attendre que d'autres défendent le royaume, attendre que d'autres ramènent son maître, attendre que d'autres sauvent un ange.

Ses yeux glissent sur son gros sac au pied de la chaise. Une aile majestueuse, grandiose, étincelante s'élève dans ses souvenirs, et avec elle, une impulsion irrésistible. Il n'est pas qu'un boiteux inutile. Il est l'apprenti du grand Leonardo da Vinci, Premier peintre, Ingénieur et Architecte du roi ; il est le pilote de l'ornithoptère ; et il est apparemment un Veilleur – quoi que ce terme puisse signifier ou représenter.

Florimond gonfle la poitrine.

Après la disparition d'Eochu, le seigneur de Château-Renault a paru retrouver ses esprits, à la fois furieux et effaré de s'être laissé si facilement subvertir. Mais comment lui faire confiance ? Il pourrait céder à nouveau. Léonore va avoir besoin d'un véritable ami, et maître Leonardo de son apprenti.

Florimond s'empare du sac, le hisse sur ses épaules, sort de la chambre d'un pas martial. Tout le château bruit d'une activité de fourmilière. Il tend l'oreille. Les serviteurs parlent de guerre contre un seigneur félon, mais pas de l'enlèvement de François de France. Pour le moment, la nouvelle semble avoir été contenue. Il s'interroge brièvement sur ce que sont devenus la soubrette ou les gardes de faction, puis son propre objectif happe toute sa concentration.

Dans l'effervescence générale, personne ne s'intéresse à son cheminement décidé en direction des jardins.

Dans l'effervescence générale, personne ne s'intéresse à son cheminement décidé en direction des jardins

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Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now