6. Les pérégrinations d'un dessin

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Florimond ahane sous le poids du chevalet, rattrape de justesse la velléité d'indépendance du rouleau de parchemins coincé sous son bras et relève le nez vers le haut de l'escalier. Il a presque atteint la fin de ce supplice de marbre blanc.

Le valet l'attend sur le palier de la victoire, les lèvres pincées, sans esquisser le moindre geste pour le soulager de son fardeau. Servir de baudet à un broyeur de couleurs ne doit pas faire partie de ses prérogatives.

Un dernier pas bancal amène Florimond sur le moelleux du tapis. Une goutte de transpiration mesquine glisse le long de sa tempe dans une démangeaison. Il n'a hélas pas de troisième main à lui consacrer. Il se contente donc d'un rictus interrogatif vers le constipé en livrée rouge.

— Par ici, monsieur. La bibliothèque.

Son guide s'arrête devant un battant aux gravures dorées, à la poignée de fer forgé, un battant à la fois somptueux et prometteur ; mais clos, complètement et obstinément clos. Florimond lève un regard vers la mine impassible du serviteur : un audacieux croisement entre l'un des saints de marbre sur le fronton de l'église et Francesco dans ses pires passades. Le rictus de l'apprenti se crispe d'indécision. Doit-il demander de l'aide ? Poser son attirail pour ouvrir lui-même la porte ? Il a l'impression que l'autre n'attend qu'un impair de sa part pour se gausser.

Le destin facétieux lui vole toute décision en la matière. L'huis réfractaire s'ouvre à la volée sous la poussée d'une tornade. Florimond écarquille les yeux. Gravures dorées et poignée forgée bondissent vers lui dans un empressement tout à fait déplacé. Leur rencontre frappante s'achève sur un craquement et un éclair lumineux.

L'instant d'après, il papillonne des paupières, allongé sur le tapis duveteux, pendant que le plafond peint oscille dans une lenteur langoureuse.

Un visage juvénile couronné de cheveux bruns hirsutes s'encadre sur cette vision hallucinée.

— Mille pardons ! J'ignorai que vous étiez derrière la porte. J'espère que vous ne vous êtes pas fait mal.

Florimond repère diplomatiquement l'élégance du pourpoint de son interlocuteur et se décide pour une dénégation polie. Elle sort un peu mâchonnée.

Un sourire gêné étire les lèvres du butor pressé. En gage d'excuse, il lui tend une main calleuse et le tire sur ses pieds d'un mouvement d'épaule.

Florimond vacille sur des jambes branlantes. Heureusement, après une brève tentative de révolte, le sol reprend un immobilisme salutaire. L'ouvreur de porte ramasse chevalet, rouleaux et crayons dispersés dans la collision avec une louable célérité.

— Voilà ! Rien de cassé ! Où dois-je les mettre ?

À cet instant, un pas feutré les rejoint.

— Ah, je vois que vous avez fait connaissance avec mon frère.

Florimond retrouve avec un certain soulagement le visage angélique de la fille du seigneur. Ses yeux si particuliers oscillent d'un garçon à l'autre. Elle fronce des sourcils suspicieux.

— Tout va bien ?

Bonne question. Comment expliquer la notion de porte sauteuse sans vexer de susceptibilité ? Avant même que Florimond ait pu tourner sept fois sa langue dans sa bouche, le nobliau le devance avec un clin d'œil complice.

— Très bien, Léonore. J'aidais le peintre à porter son matériel.

Que dire de plus ? Florimond se contente d'acquiescer du menton. Tandis que le frère et la sœur pénètrent dans la pièce désormais accessible, il jette un coup d'œil vers le laquais transformé en parfait chevalet. Est-ce un reflet de lumière, le contrecoup du choc, ou le coin des lèvres si disciplinées frémit-il d'un amusement intérieur ? Sur un haussement d'épaules résigné, il renonce à percer ce mirage et s'engouffre à la suite de ses hôtes.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now