8. Quelques brins de poésie noués autour d'un complot (1/3)

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Florimond ne pèse plus rien ; il fuse comme un éclat de rire. Le vent s'emmêle dans ses cheveux. Une exaltation bat dans sa poitrine.

Regardez, maître, je vole !

L'ornithoptère déploie ses ailes en majestueux conquérant du ciel. D'une puissante poussée, il se propulse vers les nuages. Accroché au harnais, Florimond étend les bras en imitation de ce roi indompté. Il inspire une bouffée de bonheur pur. La sensation est aussi enivrante que ce qu'il imaginait.

En bas, dans la cour du château, la minuscule figure de Leonardo da Vinci, perdue dans son ample houppelande et sa forêt de barbe, bat des mains comme un petit enfant. Francesco boude à côté, bras croisés sur une lippe envieuse. Il aurait sûrement aimé voler, lui aussi, mais il lui manque une pincée de pigment de rêve.

Florimond s'élève plus encore. L'azur immaculé l'appelle ; les briques roses lui lancent un au revoir. La campagne d'Amboise déroule pour lui seul sa tapisserie pimpante, picorée çà et là du duvet des étangs. Le troupeau docile des maisons se range le long du fleuve ; le ruban soyeux de l'Amasse se noue à celui de la Loire ; les collines haussent leurs forêts de frênes sans parvenir à l'attraper.

Il embrasse le monde d'un seul regard.

Puis, de partout, des fils de lumière surgissent. Ils courent le long des chemins, nagent dans les ruisseaux, bondissent par-dessus les rochers. Ils forment l'ondée de printemps, la sève des premiers bourgeons, la trame même du monde. Une vérité transcendantale. Sous les yeux de Florimond, ils se regroupent, s'entrelacent, convergent jusqu'à lui. Un filet éblouissant remplace le paysage. Les ailes de l'ornithoptère se prennent dans ces rets, se déchirent, s'effacent. Florimond chute dans un puits de feu.

Il atterrit avec la douceur d'une plume au milieu de l'atelier, peuplé d'une vie secrète entre les cadres. Sainte Anne relève la tête ; le Jésus potelé accroché à son agneau lui adresse un clin d'œil complice ; saint Jean-Baptiste, espiègle, le salue de son doigt levé. Un peu en retrait, le sourire énigmatique de Mona Lisa l'invite à approcher.

Il flotte jusqu'à elle et les traits se modifient. Le brun suave de sa chevelure s'éclaircit de blés mûrs. Un iris céruléen fixe un lointain inaccessible. L'illusion de sourire s'efface sur une tristesse langoureuse qui poigne le cœur. Florimond tend la main vers le portrait de Léonore et un pinceau scintillant naît entre ses doigts.

Regarde, susurre un accent italien sous son oreille, il suffit de lui peindre un sourire.

Il fait volte-face.

Au centre de l'atelier, un forgeron hausse son marteau au-dessus d'un bourdon d'airain aussi grand que lui. Florimond lève un bras en protection. Le gong sonore le heurte en pleine poitrine, le renverse à terre, et tout le château avec lui.

Son cœur s'emballe. Il fuit dans un corridor de visages hilares, poursuivi par les aboiements d'une hélice folle, sous la grimace vindicative d'une couturière. La voix moqueuse de maître Leonardo lui lance un avertissement.

Prends garde ! Il ne faut pas nourrir les korrigans !

Ses jambes galopent de plus belle sans le mener nulle part. Les appels de la cloche résonnent en chœur de cathédrale, remontent dans ses os et vibrent jusque sous son crâne.

Il trébuche sur un obstacle invisible, s'étale de tout son long. Sa main s'enfonce dans une flaque de peinture visqueuse. Il remue les doigts avec un gémissement. Le gong vrille ses tempes, l'empêche de réfléchir. Il doit prévenir quelqu'un de quelque chose, mais il a tout oublié.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now