4. Un nom au goût d'amertume (1/2)

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Les pouces glissés dans le ceinturon de cuir, l'omoplate calée contre le mur de torchis, elle observe l'approche militaire du spadassin. Le gaillard contourne le carrosse qui manœuvre pour sortir de la cour du château et marche droit sur elle, la mâchoire carrée en avant.

Il plante ses deux bottes à trois pas de distance et l'apostrophe de sa voix plus grave qu'un grondement de tonnerre.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

Elle roule une épaule, se redresse sans précipitation et faufile une main jusqu'à la poignée de son épée. Il tique devant le geste ostensible, mais ne répond pas à la provocation : ses propres doigts se tiennent à l'écart de son arme.

— Qu'est-ce que ça peut te faire, Roland ? raille-t-elle. La rue est à tout le monde, que je sache. J'attends quelqu'un, et c'est pas toi. Dégage, tu me fais de l'ombre !

Le dernier scintillement du soleil derrière les toits d'ardoises salue toute l'ironie de sa saillie, mais manifestement, le message a un peu de mal à pénétrer la tronche cabossée de l'entêté.

— T'attends Achéric, c'est ça ? insiste-t-il. J'ai appris que tu te faisais appeler La Flèche et que t'avais rejoint sa bande de mercenaires. Pourquoi ?

Il serre les poings autour de ce dernier mot. Pitoyable. Tous les mêmes, ces preux soldats, ces valeureux combattants. Une fois l'épée au fourreau, c'est un autre dard qui les démange.

Elle éclate d'un rire provocateur.

— Peut-être parce qu'il baise mieux que toi ?

Un nuage d'orage assombrit sa prunelle valide. Là, pas de doute possible, il a capté le sens profond de ses paroles. Peut-être qu'il va plier bagage ?

— C'est parce qu'il est un des héros de Marignan, c'est cela ? crache-t-il d'un ton hargneux. C'est sa gloire, qui t'attire ? Méfie-toi, tu vas t'y brûler les ailes.

Le bougre ne démord pas. Serait-il jaloux ? Parce que l'autre a gagné sa renommée là où lui a laissé un œil ? Un changement de tactique s'impose.

— Écoute, Roland. Tu m'as appris à me battre, je t'ai accueilli dans mon lit. Chacun de nous y a trouvé son compte. Maintenant, c'est fini. Paie-toi une fille, si ça te démange à ce point, mais laisse-moi traîner mes bottes où je veux !

— C'est un salaud qui vend son épée au plus offrant !

L'accusation pathétique lui arrache un ricanement.

— Tu me prends pour une de ces donzelles enrubannées ? Bien sûr que c'est un mercenaire. Vous êtes pareils, tous les deux. Tu n'as pas les mains plus propres que lui. Ose prétendre le contraire !

Elle le défie du menton, les doigts serrés sur le pommeau. Comme il n'ouvre plus son bec couturé, elle enchaîne :

— Vous servez les puissants, leur mangez dans la main, tranchez les gorges qu'ils vous demandent de trancher, tournez la tête de l'autre côté quand votre conscience passe par là et empochez les sacs d'or qu'ils vous tendent en récompense.

Bravo, il a réussi à la mettre en rogne ! Elle souhaiterait presque qu'il dégaine son épée pour pouvoir écluser la tension dans ses nerfs. Une petite joute amicale, en souvenir du bon vieux temps. Raté ! Il se contente de retrousser la lèvre sur un rictus carnassier.

— Et toi ?

Sur cette simple question, une bête se réveille au fond de ses entrailles et déplie ses griffes, une à une. Elle a toutes les peines du monde à la retenir et à articuler, dans un calme trompeur :

— Moi, c'est différent. Moi, c'est pas l'or qui m'intéresse. Tu le sais.

Il recule d'un pas, avant de se ressaisir. Sa voix sombre dans les abysses.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now