26. Une porte ouverte sur un songe (1/2)

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Dans l'étroit escalier de pierre, Florimond se déhanche à la manière d'un des automates de maître Leonardo pour suivre le train mené par le jeune Guy. Il s'éponge le front en soufflant comme une mule poussive. Les courroies de son sac lui scient les épaules. Il aurait dû le laisser près de l'ornithoptère. Trop tard pour y songer, maintenant !

Fidèle à sa promesse, le page royal opère un véritable miracle dans son sillage. Sa simple aura suffit à les draper d'un manteau de légitimité. À l'entrée du corps de logis, les gardes n'ont pas même levé un sourcil. La ronde des soubrettes et serviteurs croisés en chemin a accepté leur présence sans poser de questions, se contentant de saluer le garçon avec une déférence empreinte d'une bonhomie paternaliste.

Bon dernier, Florimond atteint le seuil d'un court palier percé de trois portes étroites. Un valet grisonnant, cintré dans une livrée fleurdelisée tirée à quatre épingles, émerge au même instant de celle de droite. Il se fige avec un froncement de sourcils face à l'invasion de ces couloirs réservés aux va-et-vient besogneux de la domesticité.

— Messire Guy, que nous vaut l'honneur de cette visite à cette heure ?

— Bien le bonsoir, Anthoyne. Je conduis ces seigneurs et dame devant le roi, en toute discrétion, pour une affaire de la plus haute importance.

La formulation, ambiguë à souhait, pourrait laisser croire qu'ils répondent à quelque convocation secrète. Leur guide la sert avec un aplomb sans borne que Florimond lui envie. Aucun tressaillement ne trahit la feinte. Cette graine de courtisan pourrait donner des leçons de comédie à un bonimenteur professionnel.

Les sourcils du serviteur se concertent devant la déclaration fracassante.

— Vraiment ? Sa Majesté a demandé expressément à ne pas être dérangée. Elle se sentait lasse après son dernier entretien de la soirée.

— Je me porte garant de ces personnes. François voudra les entendre au plus vite.

Le regard perplexe du dénommé Anthoyne survole leur petit groupe, s'incline devant l'austère seigneur de Château-Renault, pétille d'une compréhension entendue devant la beauté de la demoiselle et s'arrête sur la mise quelque peu chiffonnée de son frère.

— N'êtes-vous pas Jacques Bérard ? Nous vous cherchions dans tout le château ! Votre père sortait de chez le roi quand il s'est senti mal.

L'interpellé chancelle. Léonore porte une main à sa bouche.

— Père ? articule le jeune homme avec une touche d'incrédulité, comme s'il peinait à réconcilier l'austère Urbain Bérard avec la nouvelle. Que lui est-il arrivé ?

Florimond pourrait avancer une explication sur le soudain malaise, mais n'est pas certain que le fils ou le serviteur comprenne son histoire de tableau et d'envoûtement. Il décide de garder sa langue au fond de sa bouche.

— N'ayez crainte, rassure Anthoyne. Nous l'avons porté dans une des chambres d'invités et le médecin royal s'est occupé de lui. Mais il semblait... perturbé. Souhaitez-vous que je vous conduise ?

Frère et sœur échangent un regard alarmé. Léonore secoue la tête. Ses lèvres esquissent quelques mots, presque inaudibles, que Florimond devine plus qu'il n'entend.

— Il sortait de chez le roi. J'ai agi trop tard.

Un assortiment de nœuds se renforce dans ses boyaux, comme si un korrigan facétieux se lançait dans un nouveau style de broderie. Il n'ose imaginer la tapisserie résultante. Le seigneur de Château-Renault se renfrogne dans un retroussement de nez suspicieux. Malgré leur alliance ponctuelle, il ne se départit pas de sa méfiance envers la jeune femme. Florimond se souvient que son maître a prononcé le mot de veilleur, lors de leur discussion sur les dangers du Codex Atlanticus. Est-ce cet ombrageux personnage qui l'a mis en garde ? Sans doute, d'après ce que le seigneur a lui-même affirmé tantôt.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now