23. Mains qui soignent, mains qui tuent (3/3)

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Cette fois, les pensées de La Flèche s'effilochent sous un soupçon de panique. Hors de question que cet assassin pose ses sales pattes sur elle ! Elle se tortille comme un nid de serpents en furie. Il lui attrape le bras et le tord dans son dos. Le mouvement, certes inconfortable, s'accompagne de l'éclair de douleur d'une collection de cloques. Son beuglement baveux s'étouffe dans les couvertures.

Il est repris l'instant d'après, de manière bien plus claironnante, par la gorge râpeuse de Collar. La Flèche relève la tête. Sur son dos, la pression se relâche ; la menace de la lame s'écarte. Elle pivote avec la vivacité d'une anguille. Sous un voile encore auréolé d'élancements cuisants, elle entraperçoit une dague dans un poing levé. Sa main jaillit et se referme en étau sur le poignet. Ses lèvres s'étirent.

Qui va saigner l'autre, maintenant ?

Le teigneux se trémousse comme s'il avait le feu aux fesses, mais n'essaie même pas de la repousser. Sans chercher à approfondir l'origine de cette surprenante chorégraphie, elle imprime un mouvement rotatoire au bras de son partenaire, quelque peu contraire à son anatomie. Les doigts s'écartent ; l'arme retombe sur le lit comme un fruit mûr à point.

Collar recule vers la porte avec une bordée de jurons ; elle plonge sur le couteau. Tandis qu'elle se redresse, les dents dénudées, il empoigne derrière lui une baudruche de poils ras dotée de quatre pattes. L'animal se décroche du morceau juteux avec un aboiement plaintif. Sous l'impulsion furibonde du briscard, il vole en travers de la pièce et s'écrase contre le mur avec un bruit mat. La Saucisse ! Sacré La Saucisse qui montait la garde !

Elle bondit du lit en souplesse, le regard vissé sur sa proie. Collar se précipite sur l'épée abandonnée près du coffre et la brandit vers son torse.

— Sale gaupe, je vais t'embrocher ! éructe-t-il.

La Flèche accueille la lame d'acier avec plus de sérénité qu'un engin bien plus court. Voilà un jeu qu'elle maîtrise sur le bout des doigts ! Les protestations de son bras droit redescendent sur un picotement supportable. Les forces sont équilibrées. Collar aura plus d'allonge, mais il est poivré. Ses réflexes seront émoussés.

Elle inspire une bouffée assassine.

— T'as aucune chance, houlier, c'est Roland qui m'a appris le métier. Tu connais Roland ? Le balafré que t'as refroidi tantôt ? Il m'a chargé d'un message posthume pour toi. Un message bien pointu que je vais me faire un plaisir de te remettre en main propre.

— Ce gargouilleux ? crache-t-il. Il n'a eu que ce qu'il méritait, à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Et le même sort t'attend !

Dans la salle commune, des appels s'émeuvent du concert à l'étage. Le reste de la bande risque de débarquer sous peu et elle ne se sent pas d'humeur à donner une leçon d'escrime à toute une malemaisnie. Mieux vaut abréger les discours et passer à la pratique.

Elle bondit, et se recule de justesse devant la pointe qui siffle sous son nez. Pas si émoussé, le soûlard. Il la nargue d'un sourire jaune et de quelques moulinets. Elle esquive avec aisance, mais la chanson de l'acier la maintient à distance. Il ne s'emmêlera pas les pieds tout seul. Elle doit le forcer à se découvrir si elle veut passer sous sa garde.

— Alors, c'est tout ce que tu sais faire ? ricane-t-elle. T'attends que ta mère te torche le cul, peut-être ?

Une étincelle de fureur brute s'allume dans ses prunelles. Aurait-elle touché une corde sensible ? Il se rue à l'assaut avec la brutalité d'un taureau qui voit rouge. Elle pivote autour de la pointe dans un chassé-croisé osé qui lui crispe le ventre d'un doute, butte contre l'angle du coffre. L'épée siffle dans un coup de taille affamé. Elle l'accueille sur le tranchant du poignard, serre les dents. La vibration lui ébranle le bras jusqu'à l'épaule. Avant qu'il n'ait pu se désengager, elle se propulse d'une poussée contre l'obstacle.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now