17. Réminiscences au fond d'une crypte (2/2)

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Une résurgence de frayeur engloutit les yeux de la pucelle. L'apprenti se raidit.

— Venez, Léonore, vite !

Du haut de son perchoir, le galant tend un bras serviable. Sa partenaire retrousse un pan de robe déjà bien malmené par les exercices précédents, s'accroche à ses doigts tout autant qu'à son sourire de lapin et se hisse dans un dérapage.

Il lui étreint la main brièvement et lui confie leur source de lumière.

— Je passe le premier, vous n'aurez qu'à me suivre. La Flèche, tu fermeras la marche.

Seule au pied du tas de pierres, La Flèche en reste estomaquée. Rêve-t-elle ou le foutriquet vient-il de lui donner un ordre ? Avant même qu'elle ait pu formuler sa légitime indignation, l'asticot a plongé dans le boyau, bâton le premier. Son arrière-train se trémousse un instant à l'image d'une saucisse entre des dents voraces, puis disparaît dans un bruit de succion.

Ni une, ni deux, la noblionne endimanchée coince la torche entre deux pierres et enfonce sa guimpe dorée à sa suite, sans la moindre plainte ou protestation. La Flèche secoue la tête. Le monde ne tourne plus rond.

En deux bonds, elle rejoint l'orifice, à temps pour dire adieu aux délicats petons de la demoiselle. De près, le trou semble encore avoir rétréci. Faut-il vraiment qu'elle se faufile dans ce chas d'aiguille ? Elle a une tronche de rat, peut-être ? Des heurts insistants contre ses côtes tentent d'attirer son attention. Sa respiration s'accentue, c'est la faute de toute cette poussière !

Une galopade pressante et des borborygmes porcins lui rappellent crûment la raison de sa présence sur ce tas de débris. Elle rengaine sa dague dans un claquement sec.

— Par la malepeste !

Si les deux oisillons sont passés, elle peut y arriver.

Elle s'agenouille et avise la torche. Inutile de guider les visiteurs par un phare obligeant. Avec un soupçon d'incrédulité effarée pour ce qu'elle s'apprête à faire, elle souffle la flamme. Un rideau de ténèbres se referme sur ses épaules, aussi inamovible qu'un château entier.

En face, la bouche de l'escalier luit d'un halo orangé ténu et expulse un vent de tumulte, comme si une bête grondait, tapie dans les tréfonds. Mieux vaut avoir déguerpi lorsqu'elle émergera de son sommeil.

À tâtons, elle s'allonge, les bras en avant, avec l'impression de creuser sa propre tombe. Elle s'encourage d'une inspiration et entreprend une reptation ridicule. Une aspérité lui racle le cuir chevelu ; des milliers de doigts griffus s'accrochent à ses vêtements ; une poudre funéraire lui coule dans le cou et se colle à sa sueur. Tout la démange.

Elle progresse avec une lenteur de supplice. La roche se referme sur elle, entrave le moindre de ses gestes, comprime sa poitrine. Elle halète. Il n'y a pas assez d'air dans ce tunnel, elle va crever étouffée au fond de ce trou ! Personne ne l'en sortira jamais. Ses os blanchiront et rejoindront la poussière des siècles, aussi abscons que la mosaïque délavée.

Dans la crypte qu'elle vient de quitter, des cris guerriers se répercutent en écho d'un passé qu'elle s'efforce d'oublier. Elle se rend compte qu'elle serre les paupières, les tripes, les poings, dans une vaine tentative pour dresser des barrières contre ce cauchemar. Non !

Elle racle des ongles ; quelque chose la retient. Une main de pierre. Prise au piège ! Elle se débat, se tortille. Un gémissement enfle dans sa gorge. Elle n'obtient qu'une pluie de gravats qui lui tapisse les poumons. La terre l'avale, la mastique, la digère. Il fait plus noir qu'au cœur des bois par une nuit sans lune, plus opaque que dans un bain de poix, plus épais que sous les restes craquelés d'un golem de glaise. Les clameurs peuplent les ténèbres de soldats hostiles, assoiffés du sang d'innocents. Au travers d'une explosion de souvenirs, la chaleur revient roussir sa peau, racornir ses poils. L'incendie va la consumer vivante ! Ni papa ni maman ne répondent à ses suppliques. Elle est seule. Ses sanglots se sont asséchés depuis longtemps.

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now