4. Un nom au goût d'amertume (2/2)

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Autrefois, les soldats lancés contre une poignée d'habitants sans défense ont massacré sans vergogne. Ils ont violé les femmes, passé les enfants par le fer, éclaté les crânes des nouveau-nés contre les pavés. Oh, elle en a entendu des histoires écœurantes sur cette nuit-là, sur les bancs des tavernes, entre deux pintes de bière ! Des histoires à en perdre toute notion de sommeil, à en régurgiter le contenu de son estomac, à nourrir de haine crue le fauve tapi dans ses entrailles !

Le soudard qui racontait ses immondes salades de cervelle giclant dans la rue a éclaté d'un rire éméché. La Flèche secoue la tête. L'écho en résonne encore à ses oreilles. Il est sorti plus tard, pour soulager sa vessie dans l'arrière-cour. Il s'est vidé d'un peu plus que son trop-plein de vinasse sur la terre battue. Debout sous les étoiles, le couteau rougi de cette première vie tranchée, elle s'est fait un serment : trouver le responsable, rendre justice. Quelques mois plus tard, elle faisait la connaissance de Roland. Une balafre, mais un bon fond. Pour quelques galipettes dans un lit, il lui apprenait le métier des armes. Puis elle s'est détachée ; son enquête l'entraînait sur d'autres voies. Pas de lien, pas de faiblesse.

Le balbutiement du prêtre interrompt ses réminiscences.

— Que... que voulez-vous ? Il n'y a rien de valeur, ici. Mon fils, pensez au salut de votre âme.

La voix chevrotante sort en filet de murmure. Il ose à peine articuler sous la menace de la dague. Quel dommage que cette loque ne résiste même pas ! Il ne comprend rien. Ah, qu'elle aurait aimé tenir Aymard de la sorte, à sa merci ! Elle lui aurait tranché la gorge d'un revers sec et regardé sa puterelle de vie tirer sa révérence par ce second sourire. Mais elle était trop jeune pour se frotter à lui lorsqu'il est parti pour la campagne d'Italie et il n'est jamais revenu. Un quelconque piquier italien l'a spoliée de sa vengeance.

Devant le mutisme, la pression sur la carotide ou peut-être quelque reflet sanguinaire dans le regard, le curé panique. Ses genoux jouent des castagnettes. Ce foutriquet serait capable de s'oublier sur ses pieds cagneux. Elle doit presque le soutenir pour éviter qu'il ne s'égorge lui-même.

Même s'il ne peut profiter du spectacle sous le foulard, La Flèche retrousse la lèvre sur le sourire d'une belette devant un rat bien gras.

— Le 5 mai 1508, ça te dit quelque chose, Monsieur le Curé ? siffle-t-elle dans son oreille.

— Vous êtes fou. Je ne vois vraiment pas...

Elle augmente la pression sur la dague. Quelques gouttes roulent sur le fil aiguisé avec soin.

À ses pieds, la flamme de la chandelle renversée crachote sur le plancher et rampe vers le luxueux tapis. Les ombres voltigent dans une farandole macabre ; elles tournoient autour de la lettre abandonnée, lèchent le teint blafard du curé, jouent sur Jésus entre ses deux brigands : trois figures figées de tourment éternel dans le carcan du tableau. La Flèche frémit. La grimace du lancier ouvrant le flanc du Christ se reflète sur ses propres lèvres.

La protestation étouffée de Besnard reconcentre son attention. Les yeux effarés roulent dans leurs orbites. La mémoire semble lui revenir sous l'impulsion d'une saine terreur.

— Oui, oui, bien sûr, je connais la date. Il s'agissait de sauver des âmes ! Un démon ! Ces faux convertis avaient invoqué un démon, pactisé avec le Diable !

— Qui ! Qui a proféré ces mensonges ?

— Le capitaine de la garde, Aymard Guittet, m'a averti. Un garçon l'avait alerté.

La Flèche se fige. Voilà qui est nouveau. Aucun des briscards interrogés n'avait mentionné de morveux.

— Un garçon ? Quel garçon ?

Trois coups de pinceau pour un songeDär berättelser lever. Upptäck nu