7. Jeu d'esprit, jeu de lit (2/2)

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La Flèche remonte la couverture de laine rêche sur ses hanches pour chasser le courant humide de la nuit. Achéric se redresse d'un coude sur le matelas de paille. Sa main râpeuse joue autour des vallonnements qu'il a eu l'occasion d'explorer en détail. Elle sent son souffle court sur sa peau ; son odeur l'enveloppe, mélange de cuir et d'une pointe plus musquée. La chandelle, restée allumée, mène les ombres dans une ronde langoureuse.

La première partie de la nuit a tenu ses promesses, reste à voir la seconde. Elle entame le bal d'une question anodine.

— Alors, satisfait de ton butin ? Je me demande ce que ton commanditaire compte faire de ces croquis.

Il lui relève le menton pour observer ses prunelles d'un air pensif.

— T'es vraiment surprenante, La Flèche. Tu sais lire, tu te bats bien. Tu serais pas une fille de seigneur, née du mauvais côté du lit, par hasard ?

Elle éclate de rire. L'idée qu'il puisse la confondre avec l'une de ces mijaurées tout juste bonnes à engrosser ne manque pas de cocasse.

— Même pas en rêve. Tu peux oublier la dot.

— Dommage.

Il faufile le nez au creux de son cou. Sa barbe la chatouille. Il paraît prêt à remettre le service.

— Je connais même pas ton nom... déplore-t-il, le souffle un peu haché. Je peux pas glisser une Flèche dans mon lit, c'est trop dangereux.

Sa main s'immisce sous la couverture ; elle intercepte la vilaine. Elle a d'autres projets en tête pour la suite.

— Je croyais que tu aimais le risque, rétorque-t-elle d'une pique narquoise.

En parlant de risque... Son cœur accélère. Si elle veut lui tirer les vers du nez, elle va devoir livrer une partie d'elle-même. Est-elle prête à sauter dans l'inconnu ? Par réflexe, pour y puiser quelque assurance, son regard cherche ses habits, éparpillés sur le plancher. L'ombre effilée de sa dague l'y attend, familière. Elle mesure les gestes, la distance qui la séparent de ce garde-fou et prend une inspiration.

— Rachel, je m'appelle Rachel.

Comme toujours, le nom porte sur ses lèvres une mièvrerie d'innocence fanée. Elle l'a renié, en même temps cette fillette trop effrayée pour ouvrir les yeux. La Flèche se bat, ne tremble pas. Elle toise le destin bien en face et lui crache son défi au visage. La bête tapie dans ses entrailles entrouvre un œil.

Son partenaire s'immobilise et relève le nez. Une lueur étrange traverse son regard. Ou bien est-ce simplement le reflet de la flamme dans ses prunelles ?

— C'est pas un nom commun, par ici, remarque-t-il avant de replonger dans son inspection appliquée de l'anatomie féminine.

La Flèche expire, une infime crispation se dénoue dans ses muscles. Elle n'était pas aussi sereine qu'elle l'imaginait, mais elle ne s'était pas trompée non plus. Achéric est loin d'être bête, et il est pragmatique. Elle aime ça. Pas de chichi, pas d'atermoiement. S'il a deviné qu'elle était juive, il n'en laisse rien paraître et s'en tamponne manifestement le coquillard.

Elle poursuit dans la brèche ouverte d'une voix plus assurée.

— T'étais avec Aymard à Marignan. Tu l'as connu.

Nouvelle pause exploratoire.

— Un peu, avance-t-il d'un ton gardé.

— Un peu ? T'étais dans sa compagnie quand les Italiens vous ont pris à revers, trois fois plus nombreux. Un massacre. T'as rassemblé la débandade et t'as tenu le front le temps que les renforts se pointent. T'es revenu de là-bas en foutu héros. N'importe quel soudard raconte l'histoire dans les tavernes contre un verre de vinasse. Tu l'as sûrement connu plus qu'« un peu ».

Trois coups de pinceau pour un songeWhere stories live. Discover now