24 Joyeux Noël (2/2)

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Lorsque je rentre, j'isole un instant Marianne et lui demande si ça la dérange que je parte me coucher. Elle m'adresse un petit sourire compréhensif et me donne sa bénédiction.

Je m'enferme dans ma chambre, soulagé. Ça ne dure qu'un temps, car la joyeuse effervescence qui règne dans la maisonnée me fait vite me sentir plus seul que jamais, terré dans mon antre, ma petite lampe de chevet conférant un aspect plus austère encore à la pièce. Je ne suis pas un as de la déco — c'est quoi exactement ? —, et tout est bien rangé ; alors quand il fait sombre, le lieu semble triste et sans vie.

J'essaie de ne pas réfléchir à ceux qui me manquent en ce jour symbolique, lorsque je prends conscience que Sarah est dans sa chambre, accompagnée d'une — ou plusieurs — cousines. Elles discutent, parlant plutôt fort, imaginant sans doute que personne n'est à l'étage. Je me surprends — malgré moi — à écouter leurs babillages.

— Et ça va, tu le vis bien, maintenant ? demande une voix que je ne connais pas.

— Ça va, je l'ignore. Il me fait pas chier, en tout cas, réplique Sarah.

Je tends l'oreille. J'ai comme l'impression d'être le sujet de la conversation.

— Il a l'air sympa en tout cas. Quand t'en parlais dans tes messages au début, j'imaginais un vrai troll des cavernes, répond une autre voix — elles sont trois dans la pièce, certainement les deux cousines les plus proches en âge de Sarah —, en éclatant de rire.

Je soupire. C'est elle tout craché que de me dépeindre de la sorte.

— Faut pas se fier aux apparences, il est peut-être mignon mais il est couillon, rétorque Sarah.

Elles rient toutes les trois. Merci. J'apprécie le geste et les mots, vraiment...

— T'abuses, t'es toujours trop raide. Il a pas l'air si bête que ça. Regarde plutôt mon frère : on a presque eu du mal à le convaincre de ne pas passer le repas à pianoter sur son téléphone. Il passe sa vie greffé à son jeu de merde avec ses potes débiles ! Ça c'est un modèle de stupidité ! s'indigne l'une des cousines.

— Moi, il me fait trop penser au mec sur qui je craquais en cours il y a deux ans. J'étais trop timide à l'époque pour aller lui parler. Mais là — celui-ci —, j'irais bien discuter avec lui ! confie la seconde cousine en gloussant.

Sarah ricane.

— Vas-y, tu vas pas être déçue. Conversation zéro pointé, et puis alors les filles... je crois pas que ce soit son truc ! affirme-t-elle, moqueuse.

La douche froide. Glaciale, même. Je sens immédiatement un poids énorme me comprimer la poitrine.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? questionne une des cousines, curieuse d'en savoir plus.

Je retiens mon souffle. Est-ce que Sarah va déballer ma vie ? Mes secrets ? Ce que je ne voulais absolument pas qu'on laisse échapper sur la place publique ?

— Bah... il aime rien, c'est tout. Il me gave. Je le trouve triste et chelou... balance simplement Sarah, fataliste.

— C'est ballot... mon frère aussi il me saoule, il est toujours... poursuit la cousine ayant un frère a priori chiant, alors que je cesse d'écouter.

J'expire enfin, soulagé. J'ai senti son hésitation, mais elle n'a rien dit. Alors je visse immédiatement mes écouteurs sur mes oreilles, balançant du son bien lourd à fond. Je ne veux plus rien entendre. L'animal apeuré et blessé que j'étais il y a quelques semaines refait son apparition. Je me rends compte que je suis en danger. À tout moment, Sarah peut décider qu'elle se fiche bien assez de ma personne pour avoir à garder mes secrets. Elle est plus proche de tout un tas de gens que de moi. Elle est donc susceptible de leur relater mes tristes faits d'armes, pour peu que le sujet Angelo soit mis sur la table. Et il n'y a rien que je puisse faire, hormis apprendre à vivre avec cette angoisse supplémentaire.

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⏰ Last updated: Feb 06, 2022 ⏰

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