3 La Rentrée

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Les autres jours de la semaine s'étaient écoulés calmement et j'étais parvenu à éviter Sarah le plus possible ; principalement parce que j'étais toujours fourré dans ma chambre ou bien sous les jupons de ses parents.

Ce matin là, mon réveil sonna très tôt. Normal, c'était une journée spéciale : celle de la rentrée. Et j'avais encore moins envie de me lever. Après une rude négociation entre l'être primitif et l'être civilisé en moi, je pris toutefois mon courage à deux mains et posai un pied hors du lit. Petit à petit, chaque partie de mon corps se trouva hors de ce chaleureux cocon — dommage.

L'œil vitreux, j'attrapai mes vêtements — soigneusement choisis la veille pour économiser du temps de sommeil ce matin — et allai me préparer dans la salle de bain.

Ce faisant, certaines images de mes précédents jours de rentrée me revenaient en tête. Même si je ne le montrais pas tant que ça face à autrui, il était évident que ce retour en cours serait vraiment différent des derniers. J'avais, cette année, le triple de l'angoisse des autres fois. Pas seulement parce que je changeais d'environnement et que je rentrais au lycée, mais aussi parce que je ne connaissais personne ; et sans ma famille à l'appui, je me sentais plus seul et plus petit que jamais. Le début de cette année scolaire allait dès à présent marquer le commencement d'une autre époque : un renouveau absolu dans mon existence, un second souffle que je n'avais nullement désiré et qui m'amenait vers une situation bien pire que ce que j'avais pu vivre jusqu'ici. Ce n'était clairement pas un bouleversement positif.

Mais s'il fallait néanmoins citer un bon point, j'aurais dit Francis et Marianne, qui étaient vraiment des gens bien. Simples, joviaux, et sympathiques.

Tout en me débarbouillant, je me souvenais désormais très bien des petits déjeuners préparés — avec amour —, par mes parents les matins de rentrée. Comme à son habitude, ma mère m'obligeait presque à me goinfrer jusqu'à ce que mon estomac explose, et mon père me répétait au moins dix fois que tout allait bien se passer et que j'allais vivre une merveilleuse journée — quand il n'assurait pas que ce serait la meilleure année de ma vie jusque-là.

À cet instant, ma mère me manqua tout particulièrement. Ils me manquaient terriblement tous les deux. Mais ma mère — une vraie maman poule —, était celle dont l'absence me faisait encore plus défaut dans l'immédiat.

Je retins quelques larmes qui menaçaient de couler — ces derniers temps, j'étais une vraie fontaine —, frottant mes yeux brillants pour dissiper l'envie que j'avais de chialer. L'heure n'était pas à l'apitoiement. Il y avait beaucoup mieux à faire — plus primordial en tout cas —, comme me concentrer sur cette saleté de Sarah qui n'était jamais trop loin de moi et qu'il fallait que j'évite à tout prix.

Je pouvais toujours compter sur la peste pour un petit coup fourré impromptu. Trois jours auparavant, par exemple. Pendant que je prenais ma douche, cette dernière était allée fouiller dans ma chambre et en avait profité pour mettre du ketchup entre certains de mes vêtements. N'avait-elle pas l'air franchement maligne avec ses idées de génie, la pauvre conne ? Je n'avais jamais pu observer d'aussi près une imbécile de cette catégorie. Après coup, j'avais dû me débrouiller pour nettoyer tout ce foutoir avant que ses parents ne me posent des questions embarrassantes.

Depuis le début, je m'étais bêtement juré que je ne lui ferais pas le plaisir d'aller me plaindre auprès d'eux. Pour sûr, c'était bien ce qu'elle cherchait, non ? La nana était tellement lâche qu'elle n'osait même pas dire à ses parents qu'elle aurait préféré qu'ils me renvoient dans ce fichu orphelinat paumé pour mômes agressifs et dépressifs ; et qu'elle n'en ait pas le courage m'arrangeait. J'aurais choisi la mort à un nouveau séjour en ce lieu qui m'avait fait me sentir plus mal chaque jour que j'y avais passé.

Fin prêt, j'observai brièvement mon reflet dans la glace de la salle de bain. Parfait, j'avais l'air d'un adolescent comme les autres : teeshirt noir à l'effigie d'un bon vieux groupe de musique dont je suis fan, agrémenté d'un pantalon en treillis vert, large comme il se devait et fort heureusement — pour mon cul, entre autres — retenu par une ceinture. Avec un peu de chance, cet attirail attirerait vers moi des connaissances partageant les mêmes goûts musicaux et la même philosophie de vie lycéenne — s'il en est une — que moi.

Je secouai ensuite la tête, laissant mes cheveux s'éparpiller sur mes épaules sans les coiffer. Puis je m'adressai un sourire d'encouragement et quittai la pièce.

J'allai récupérer mon sac de cours dans ma chambre et analysais la pièce d'un œil méfiant. Un heureux constat s'imposait, l'autre raclure n'avait — pour cette fois — touché à rien, me semblait-il. Je descendis alors les escaliers, retrouvant ma tendre ennemie dans la cuisine, en compagnie de sa mère.

— Bonjour Angelo ! Tu as bien dormi ? Pas trop le trac ? lança Marianne, dès que j'eus franchi le seuil.

Je l'aimais bien, Marianne. Elle souriait tout le temps, avide de joie et de plaisirs simples, un peu comme son mari. Sur ce point, leur très chère fille ne leur ressemblait pas du tout. À croire que trop de gentillesse pouvait engendrer masse de malveillance. Peut-être parce qu'elle avait été pourrie gâtée comme je l'avais moi-même été jusqu'au décès de mes parents. C'était souvent le lot des enfants uniques. Enfin, moi, je n'étais pas aussi con, si ?

— Bonjour Marianne ! J'ai juste... un tout petit peu le trac, c'est vrai ! Mais j'ai très bien dormi, merci ! répondis-je en tentant d'avoir l'air convaincant, le tout en m'installant pour grignoter quelque chose malgré le manque d'appétit, histoire de ne pas partir le ventre vide.

Au fur et à mesure des jours de la semaine passée, j'étais parvenu à ajouter quelques mots dans mes phrases lorsque je m'adressais à mes tuteurs. Je n'en étais pas peu fier, ce n'était pas dans ma récente nature et ça m'avait demandé de gros efforts.

— Vous feriez mieux de vous dépêcher les enfants. J'ai déjà sorti la voiture et je n'attends plus que vous deux ! prévint Marianne, en revenant dans la cuisine quelques minutes plus tard, alors que j'avais à peine pu avaler deux maigres bouchées d'un biscuit beaucoup trop sec à mon goût.

Elle avait là une attitude qui me touchait : son stress et sa panique à l'idée de nous voir arriver en retard. C'était plutôt marrant, vu qu'on n'était plus vraiment des enfants, et que le fait d'arriver avec quelques minutes de décalage n'était pas un vrai problème en soi — depuis l'accident, il y avait un tas de détails de ce type que je relativisais, à tort ou à raison. Puis ma mère était exactement pareille. Je devais toujours la freiner, sans ça elle finissait par m'angoisser ; sa nervosité était tellement palpable que c'en devenait parfois contagieux.

Réalisant que je ne pourrais rien avaler de plus — moi qui habituellement n'avais aucun problème pour me remplir l'estomac —, je me levai. Attrapant de nouveau mon sac, que j'avais préalablement déposé sur le sol, je jetai un discret coup d'œil à Sarah, dont la face était empreinte d'une expression lugubre. Sa haine à mon égard semblait augmenter un peu plus chaque jour, y ajoutant aujourd'hui le fait que j'avais ma rentrée à huit heures du matin et que la sienne n'avait lieu qu'à dix heures. Se lever avec deux heures d'avance ne réjouissait pas grand monde, alors se lever avec deux heures d'avance à cause de son ennemi juré, tout ça parce que Marianne tenait à nous accompagner au lycée pour notre retour sur les bancs de l'école...

Je quittais la pièce lorsque j'entendis Sarah remuer sur sa chaise. Me tournant vers elle, je la vis debout et décidai alors de la laisser sortir avant moi, car je préférais nettement être en mesure de la surveiller et j'étais inquiet à l'idée de la savoir dans mon dos. De cette façon, je n'avais plus grand-chose à craindre pour mes cheveux ou pour mes vêtements.

Cette fille m'avait rendu complètement paranoïaque en l'espace de deux jours.

Une fois dehors, nous avons ensuite grimpé dans la voiture, où Marianne nous attendait de pied ferme. Seul à l'arrière, je mémorisais fermement le trajet pour aller au lycée, qui en voiture durait moins de cinq minutes. Probablement un quart d'heure ou vingt minutes à pieds.

***

Marianne nous ayant déposés à quelques mètres du lycée sur ordre de Sarah, elle s'empressa de filer après moult recommandations. La peste — quant à elle —, partit presque en courant dès que sa mère eut le dos tourné, m'abandonnant en terre inconnue. Ce n'était pas plus mal, même si maintenant, je ne savais pas exactement où aller, ni à qui parler pour demander des renseignements. Mon inscription avait été effectuée à la dernière minute, faisant qu'il y avait encore beaucoup de paperasses à transmettre à qui de droit. Je restais dans le flou à ce propos : à qui m'adresser, où, et quand.

Il fallait dire aussi que j'étais relativement timide et réservé, même si je n'en avais pas l'air. Je craignais d'approcher les gens et de les aborder pour leur adresser la parole. Ajoutée à cela, la perte de mes parents m'avait fait perdre le peu d'assurance que je pouvais avoir à aller vers les inconnus. Peut-être parce que je n'avais plus de point de repli ?

Prenant mon maigre courage à deux mains, j'avançais vaillamment en direction de l'entrée du lycée. M'approchant du lieu, je remarquai des tas d'étudiants que je m'employais à ne pas regarder, restant fixé sur mon objectif premier de pénétrer à l'intérieur de l'établissement.

Arrivé face à la porte, je l'ouvris et m'engouffrai dans le bâtiment. Après quelques pas, je fus interrompu par un type qui marchait vers moi ; probablement sans que ce soit son intention première. Il était nettement plus petit que ma personne, mais semblait plus âgé. Bingo ! J'avais du bol, il portait les mêmes signes vestimentaires de reconnaissance que ceux que j'arborai. Étant donné que « qui se ressemble, s'assemble », j'allais peut-être pouvoir rapidement m'en faire un pote...

— Salut ! qu'il me dit, me scrutant de la tête aux pieds.
— Salut... avançai-je, méfiant.
— T'es pas d'ici toi, hein ? C'est la première fois que j'te vois et pourtant, j'connais tous les metalleux du coin ! répliqua-t-il.
— Euh... ouais... je viens de débarquer en ville, répondis-je.
— Cool ! J'adore tes cheveux longs ! J'essaie de m'les faire pousser pareil, tu vois. Mais j'ai trop la flemme et j'finis toujours par les couper au bout d'un moment, dit-il.

Pote... ou pas... j'ai envie et en même temps, pas tellement.

Et s'il savait à quel point je n'en avais strictement rien à foutre de son histoire, dans l'immédiat... mais de quoi me plaignais-je encore ? Il n'avait pas l'air méchant le mec. Et puis, c'était pas mon intention, de rencontrer des congénères ? Évidemment que oui : je m'étais même préparé ce matin avec cette volonté de sympathiser, et là, j'étais en train de penser comme un connard.

Il me tendit sa main que je serrai donc sans hésitation.

— J'me présente : Thomas, mais tout le monde m'appelle Tom, alors fais comme tout le monde, poursuivit-il.
— Okay. Moi, c'est Angelo, dis-je maladroitement, en me pointant du doigt.

Je le vis alors éclater de rire et me demandais bien ce que ma phrase avait de si drôle, ou de si minable, peut-être. Il répondit néanmoins à ma question avant même que je ne la lui pose.

— Tu vois la fille là-bas ? C'est ma meilleure copine, Sandra. Elle fait aussi partie d'notre bande. En fait, c'qui est marrant, c'est que lorsqu'on t'a vu arriver, elle a dit que t'avais une tête un peu mi-ange, mi-démon. Tu vois ? Elle voulait clairement que je vienne t'aborder ! Et tu t'appelles Angelo, ça le fait. Trop marrant, hein ? expliqua-t-il.

Je restais perplexe, et ris jaune face à la plaisanterie. C'était carrément pas comique, et j'étais pas d'humeur. Je n'avais jamais vraiment apprécié le prénom que mes parents m'avaient choisi, même si maintenant qu'ils n'étaient plus là, j'y tenais tout particulièrement. Il avait un aspect un peu trop latino ténébreux d'un côté et mystique de l'autre. En d'autres circonstances, j'aurais largement préféré m'appeler Thomas, par exemple. C'était certainement moins marrant pour les couillons en face...

— Euh... ouais, c'est super drôle... dis-je à contrecœur, avant de reprendre la parole. Bon, tu veux bien m'excuser, faut que j'aille déposer les papiers de mon inscription — entre autres — je-sais-pas-où. Comme je suis arrivé la semaine dernière en ville, j'ai des choses à faire.
Je tentai péniblement de me justifier, pour une raison qui m'était obscure.
— Okay, pas d'problème ! On s'retrouvera pendant la semaine près du saule qui est au fond de la cour. C'est le point de ralliement pour les gens comme nous, répliqua Thomas.
Cette dernière phrase sonnait bizarrement : j'avais l'impression que nous étions deux membres d'une même secte.
— Ouais... et sinon, tu saurais pas où je peux aller déposer mes papiers à la con ? demandai-je, reprenant mes esprits.
Je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais faire de ce foutu dossier.
— Bah, je sais pas, t'as qu'à aller voir le proviseur, je l'ai vu passer. Il est vieux, mais il est plutôt cool dans son genre. Tu vois, là-bas, tu rentres et c'est le couloir de gauche. Y a écrit « bureau du directeur » — ou un truc dans le genre — sur la porte, facile ! expliqua-t-il en joignant les gestes à la parole, me prenant — à mes yeux —, un peu pour un con.
— Merci beaucoup. À la prochaine ! dis-je en me dirigeant sans plus attendre vers le lieu indiqué.
— Ouais, à bientôt ! l'entendis-je répondre.

Je fis comme si je n'avais rien entendu : je n'avais pas du tout la motivation pour entretenir une conversation.

Déambulant avec incertitude dans les lieux, je réalisai assez vite que Thomas m'avait mal renseigné. Je n'étais probablement pas dans le bon couloir de gauche. Il y avait un monde fou à l'intérieur du lycée et l'ambiance était très différente de mon ancien collège, ce qui renforçait ma gêne à me trouver ici. Je me sentais tout jeune et tout gamin alors qu'il fallait bien l'avouer, je faisais le fier en troisième, je débarquais chaque matin en conquérant, me jugeant plus proche de l'adulte que de l'enfant.

Au loin, j'aperçus Sarah avec trois autres filles. Elles semblaient en grande discussion. Je n'avais aucune envie de la croiser et pour mon plus grand bonheur, je dégotai un énième couloir de gauche, que j'empruntai sans tergiverser.

Lisant consciencieusement chaque pancarte présente sur chaque porte, je parvins enfin devant la fameuse entrée. Je frappai alors quelques coups, attendant bêtement que quelqu'un vienne m'ouvrir. Je me sentais réellement stupide à patienter comme ça, crispé au possible, emmerdé par les regards que me lançaient certains étudiants en passant devant moi.

Après de longues minutes et face au manque flagrant de réponse — et à ma gêne grandissante —, je décidai d'ouvrir cette porte — aucune résistance après avoir abaissé la poignée — et m'engouffrai timidement dans une petite salle d'attente. Cette pièce donnait sur deux bureaux dont les portes étaient fermées. Certainement le bureau du directeur et celui de l'adjoint, ou d'un secrétaire ? Pas très à l'aise, ne me sentant pas du tout à ma place, j'allai néanmoins m'asseoir sur une des chaises et décidai — à défaut d'autre option — de patienter encore. Plusieurs personnes semblaient en grande concertation dans les pièces voisines, alors je savais que je n'y avais actuellement pas ma place.

Je ne souhaitais déranger personne, et je n'avais pas du tout envie de me faire disputer — et encore moins remarquer — en ce premier jour ; ni les jours suivants, tant qu'à faire.

Ma nervosité augmentait avec l'attente couplée à ma solitude dans cette pièce inconnue et aseptisée au possible. Les secondes devenaient des minutes. J'avais tout mon temps pour ruminer et pour m'entraîner à être muet comme une carpe face au proviseur, timidité obligeait.

Je commençai à taper du pied sur le sol lorsqu'enfin une discussion s'acheva dans l'une des pièces. La porte s'ouvrit et plusieurs personnes quittèrent les lieux. Derrière eux, se tenait un homme que je supposais — à juste titre, j'allai vite l'apprendre —, être le directeur de l'établissement. Jetant un coup d'œil à mon téléphone portable, superbe cadeau — pourtant pas très utile — de mes tuteurs, je constatai l'heure tardive. Dans quelques minutes, je devrais avoir affaire à ma classe et à mes profs or, j'étais toujours ici.

On s'adressa alors à moi, me faisant sursauter.

— Bonjour jeune homme. Que puis-je pour vous ? me demanda le directeur, avec un petit sourire.
— Euh... je suis nouveau en ville et j'ai... des papiers ? Plusieurs papiers à vous donner... baragouinai-je maladroitement.
— Bien. Dans ce cas, c'est ici que ça se passe, dit-il toujours avec un léger sourire en coin, me désignant son bureau.

Lui, au moins, semblait être de bonne humeur, contrairement à moi. Il y avait donc des gens que cette rentrée réjouissait.

Je me levai et entrai dans son bureau, puis m'assis dans l'une des chaises face à lui. J'ouvris mon sac et en sortis les quelques papiers contenus dans le dossier que Marianne avait préparé. Je lui tendis le tout. Il ouvrit ledit dossier et amorça une lecture en diagonale des divers feuillets qu'il avait sous les yeux. Il me jetait parfois des regards malicieux qui me mettaient mal à l'aise.

— Vous semblez être un élève exemplaire. Félicitations ! me dit-il sans quitter son petit sourire.
Ce type me rendait complètement nerveux avec sa trop bonne humeur et ce sourire-là. J'aurais préféré avoir face à moi un directeur austère et expéditif.
— Oh... toutes mes condoléances. Je comprends mieux votre petite mine. Est-ce que ça va aller ? poursuivit-il en s'imprégnant d'une expression des plus sérieuses, alors que je ne pipai mot.
— Euh... oui, merci... ne vous inquiétez pas pour moi... ça ira ! m'exclamai-je gauchement après quelques secondes de silence, gêné.
— Je ne m'inquiète pas pour vous. Je suis certain que vous allez vous intégrer très rapidement, répliqua-t-il en retrouvant son sourire — à demi, seulement, mais ça suffisait à me rendre nerveux, voire à m'agacer.
— Ah... fis-je simplement, perplexe.
Personnellement, je n'avais pas du tout l'impression que mon intégration se ferait aussi facilement.
— C'est votre tête, là. Ce regard, exactement. Vous allez faire fureur, me lança-t-il avec son sourire taquin, comprenant mes interrogations.

Je tentai moi aussi un petit sourire — mais ça devait plutôt ressembler à une grimace. C'était vrai que j'avais eu la cote l'an dernier, mais cette année ce n'était plus pareil. Je n'avais pas envie de jouer à celui qui se ferait le plus remarquer. J'avais besoin de rester dans un petit coin ; que personne ne constate ma présence. Il n'y avait donc pas vraiment de chances pour que les filles viennent vers moi.

Ce directeur m'avait l'air de plus en plus sympathique. Le genre de proviseur qu'on ne pouvait qu'apprécier. Bon vivant, visiblement, même si sa joie ne me touchait absolument pas pour le moment, bien au contraire.

Je l'observais anxieusement pendant qu'il achevait l'analyse de la paperasse que je lui avais remise.

— Angelo... mmh... marmonna-t-il distraitement.

Il souriait toujours doucement, tandis que je me remémorais la scène que j'avais vécue quelques minutes auparavant. L'explication on ne peut plus stupide de Thomas et ses rires face à mon prénom firent monter en moi une exagérée bouffée de colère.

— Veuillez m'excuser, je suis plongé dans ma lecture. Vous attendez quelque chose ? Il y a un problème ? me demanda le proviseur, toujours armé de son agaçant sourire, en prenant conscience de mes sourcils froncés.
— Non. Rien du tout, répliquai-je un peu trop sèchement — impulsivement, ce que je regrettais déjà —, désireux que l'on me foute la paix et qu'on cesse de se marrer bêtement sous mon nez.
Le directeur tiqua face à ma réaction qui piétinait joyeusement sa bonne humeur et les règles de politesse standard ; mais il ne m'en tint pas rigueur.
— Bien, Angelo, êtes-vous fin prêt pour affronter ce qui vous attend ici ? répondit-il finalement avec un air bienveillant malgré son sourire malicieux.
Je soupirai, déjà épuisé par ma journée.
— Pourquoi ? questionnai-je, ne m'embarrassant plus d'aucune politesse.
— Comment ça, pourquoi ? rétorqua le proviseur.
— Que je suis prêt ? dis-je.
— Commencez par revoir la forme interrogative : nous considérons qu'un jeune lycéen est parfaitement capable de maîtriser la grammaire de base, répondit simplement le directeur, sans se départir de cet étrange sourire.

J'avais envie de retirer tout ce que j'avais dit concernant son apparente sympathie et ce qui s'ensuivait. À l'instant, je n'avais qu'une seule envie : l'étriper pour qu'il se taise. Cependant, je n'en fis rien.

— Quelle vilaine expression : c'était simplement une boutade, jeune homme. Il y en aura bien d'autres à venir, c'est tout le mal que je vous veux, répondit-il enfin, face à mon air toujours aussi perplexe.
Un silence s'imposa, et il reprit la parole :
— Il est déjà huit heures. Vous devriez y aller si vous ne souhaitez pas faire mauvaise impression auprès de votre professeur principal dès les premières heures.
Je consultai mon portable, affolé, et me levai brusquement ; à deux doigts de renverser la chaise sur laquelle j'étais assis.
— Oui, merci. Au revoir, dis-je en quittant la pièce tandis que le directeur me répondait :
— Au revoir Angelo, et sois le bienvenu parmi nous.

Je retournai dans le hall au pas de course. L'appel des élèves de seconde commençait à peine et fort heureusement pour moi l'ordre alphabétique faisait que je n'étais pas dans les premiers. Je n'avais donc rien raté et mon honneur — ma discrétion, surtout — était sauf.

Tandis que je scrutais mes condisciples d'un œil extrêmement suspect, vint le tour de ma classe. Mon nom fut cité et je partis rejoindre les rangs déjà grossis — pour la plupart — de tronches d'abrutis, ou bien de gens qui ne me disaient rien qui vaille. Dans tous les cas, je n'avais aucune envie de connaître qui que ce soit.

Quant à notre professeur principal, mieux valait ne pas en parler. Il avait — pauvre de lui — le grand malheur d'être affublé d'une putain de gueule de trou du cul fini. J'espérais de tout cœur que seule sa tête était si désagréable, sans ça l'année s'annonçait encore moins rose que prévue.

Lorsque le groupe se mit en marche, je restais à l'arrière et suivis ma classe en traînant des pieds, jusqu'à ce que le prof nous fasse entrer dans sa salle.

Je m'installai seul à une table et posai mon sac bien en évidence sur celle d'à côté, histoire que personne n'ait la judicieuse idée de venir m'emmerder.

Le professeur cracha son discours introductif et nous distribua rapidement les emplois du temps. S'ensuivit une expédition en direction de la bibliothèque pour que nous récupérions nos manuels scolaires.

En chemin, je constatais que les élèves se connaissaient presque tous. De petits groupes semblaient déjà s'être formés et l'ensemble des gens était occupé à papoter et à piailler. Tant mieux pour tout ce beau monde : j'avais personnellement pris soin de rester à l'écart.

Une fois la besogne accomplie, notre professeur nous entraîna vers l'amphithéâtre, où le proviseur devait adresser un discours de bienvenue aux secondes. Ce fut chose faite. Ce dernier nous parla de la difficulté qu'il y avait à entrer au lycée, de la différence par rapport au collège, de ce que l'on exigerait de nous ici, du baccalauréat... bon sang, le bac... mon père fantasmait déjà à l'idée que je puisse en décrocher un scientifique avec une mention « bien », au bas mot. Un nœud me serra la gorge à cette pensée, mais je tentai de suivre tant bien que mal le monologue — dynamique et non dénué d'humour —, du directeur.

Le proviseur acheva son discours par une phrase du genre « bonne chance à tous, nous serons présents pour vous accompagner pendant toute la durée de vos études ici », agrémenté du fameux sourire dont il avait le secret et au sujet duquel je ne savais pas tellement quoi penser — angoissant ou sympathique ?

Puis tout le monde se leva, et j'en fis de même. L'amphithéâtre se vida et je rentrais à la maison un peu moins stressé qu'en début de journée, ayant au passage gagné deux jours de vacances en plus, histoire de me faire à l'idée du système lycée.

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