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Vendredi soir.

Quelle semaine de rentrée éreintante. Sarah a passé son temps à me taquiner et à me houspiller — entre deux ricanements entrecoupés de gestes tendres —, et la silhouette de Christian — toujours perçue au loin, chaque jour —, n'a cessé de me narguer.

Les seuls moments tranquilles, c'est les cours. Au moins, là, il n'y a rien pour me rappeler que je suis gay et amoureux de mon proviseur.

Tout ça n'a pas plus de sens aujourd'hui que ça n'en avait auparavant. Encore, un prof, ce serait d'autant plus cliché, mais je comprendrais, car on partagerait des heures ensemble dans la semaine. Mais là, craquer à ce point sur un type avec qui j'ai dû passer une demi-heure en temps cumulé de ma vie... j'aurais bien brandi le drapeau « coup de foudre », mais s'en n'est même pas un. Il ne m'a pas fait de l'effet au premier coup d'œil.

J'y capte rien. Mais d'après Sarah, il n'y a pas grand-chose à comprendre. Quand c'est viscéral comme ça l'est pour moi, ça ne se contrôle pas, m'a-t-elle déjà dit. Ce sont des mots qui me rassurent. J'ai pas envie de me laisser abattre comme il y a quelques semaines, alors je préfère penser que je jouis de malchance. La roue finira par tourner, et tout ira mieux.

Néanmoins, il y aura au moins encore un sale quart d'heure à passer. Aujourd'hui, mon professeur principal m'a transmis une convocation de la part du proviseur. Lundi dans la matinée, pendant la pause. J'en suis déjà pétrifié.

J'en ai touché quelques mots à Sarah pendant la journée — je crois que passé les formules de politesse de base, je n'ai concrètement ouvert la bouche que pour parler de ça —, et ses conseils étaient parfois très avisés, parfois complètement loufoques — sa signature.

Ma crainte, c'est d'être complètement paralysé devant lui et de ne rien réussir à dire. Je n'ai jamais brillé face à lui, mais là, vu l'effet qu'il me fait, je doute d'être capable de quoi que ce soit. Et je n'ai pas besoin de me ridiculiser une nouvelle fois.

Ma petite amie m'a recommandé d'écrire en avance quelques phrases types que je lirai le moment venu — mais pas simple quand on ne sait pas pourquoi on est convoqué ! Elle m'a aussi conseillé de faire semblant d'être malade lundi, situation dérangeante repoussée — mais pas annihilée ! Pire, elle m'a même suggéré de lui parler franchement. Là, je n'évoque que ses propositions à peu près cohérentes, après avoir mis de côté la drogue, le meurtre, la séquestration, le striptease — pourquoi ? —, la fugue, le changement d'identité, etc.

Je sens que je vais passer tout le weekend dans cet état, à me poser sans arrêt les mêmes questions sans jamais trouver de réponses, car j'ai juste envie de me faire tout petit et de me planquer dans un trou de souris. Je suis une boule de nerfs. C'est dommage, moi qui pensais avoir fait des progrès et être capable d'aller de l'avant, j'en suis finalement toujours là, prêt à passer ces quelques jours de repos en compagnie de la nausée, ma meilleure copine. Et pour peu qu'elle invite la migraine, on risque de bien s'amuser.

En attendant, je suis là, et je peine à avancer sur mes devoirs. Calme-toi, mon garçon, ressasser ne te mènera nulle part. C'est ce que j'essaie de me dire. Le stress n'est pas quelque chose qui a une influence positive sur moi — j'ai du mal à croire les gens qui disent que ça les motive ! Comment est-ce possible ? Ils sont masochistes ?

J'entends encore Sarah et ses idées à la mords-moi-le-nœud : « Tu peux toujours essayer de prendre contact avec lui hors lycée... voir si le courant passe ! » Quel courant ? Elle a dit ça sur le ton de la moquerie, comme si elle voulait que je fonce tête baissée et que je me prenne une bonne humiliation dans la tronche, histoire de me contraindre à passer à autre chose. Elle ne le déclare pas, mais je sais qu'elle le pense. Elle me soutient pour la forme, parce que c'est vraiment une chouette petite copine malgré les apparences — qui l'eut cru ? —, mais dans le fond, elle doit se dire que je suis un crétin — ça, elle s'en cache pas —, complètement illuminé et malsain.

SurvieWhere stories live. Discover now