Chapitre 29, Partie 3

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Mes pensées divaguent tandis que je le regarde dormir. J'ai du mal à admettre ce que cet être allongé près de moi représente à mes yeux. La seule certitude est que je n'imagine pas mettre mon projet à exécution sans qu'il n'en fasse partie.

Le lien qui m'unissait si fortement à Jake depuis toutes ces années se défait peu à peu, remplacé par quelque chose de plus pur, et de plus sain. Aaron avait raison. Cet amour passionnel pour Jake qui persistait depuis sa mort était entaché de cette terrible culpabilité que je ne m'avouais pas. Les récentes révélations, mais plus encore mes sentiments grandissants pour Aaron, m'avaient permis de prendre du recul et de reconsidérer la place de l'amour dans ma vie. Pour le mieux.

— T'ai-je déjà dit quelle sublime créature tu étais ?

Aaron est réveillé. Cela fait au moins une heure que mes pensées tourbillonnent dans mon esprit. Il me regarde comme de coutume avec cette intense attention, comme si j'étais la personne la plus passionnante au monde. Je souris à son compliment, mais mon visage douloureux me fait grimacer. La tristesse assombrit ses traits.

— Je te présente encore une fois mes plus sincères excuses. Tu n'imagines pas à quel point je me sens coupable.

— Je ne t'en veux pas Aaron. Arrête de te tracasser. J'avais peur que tu ne te blesses encore plus, et c'est moi qui ai choisi de m'interposer.

Mais malgré mes paroles, il garde cet air malheureux qui me brise le cœur.

— Parlons d'autre chose, je propose, et il saute sur l'occasion.

— Tu n'as pas dormi ?

Je secoue la tête et il lit en moi avec facilité :

— Je ne t'en veux pas Am. Arrête de te tracasser.

Sa réplique me fait sourire. Il a visé juste, comme toujours.

— Je suis désolée, de t'avoir tenu à l'écart, de t'avoir menti.

Il se redresse sur ses coussins et soupire.

— Tout est pardonné. Mais ce doit être la dernière fois, Amber. Nous devons être une équipe, et pouvoir nous faire confiance. Tu aurais dû me parler de cette rencontre avec Eden.

— Sauf que tu ne m'aurais jamais laissé y aller.

— À juste titre. Tu aurais pu mourir. Je ne pense pas que cette prise de risques valait cette discussion avec ton frère.

— Tu plaisantes ? Ces découvertes changent tout, toute ma vie.

Je raconte à Aaron l'entièreté de mes retrouvailles avec Eden, et lui relate tous ses propos. Il m'écoute respectueusement, et, faisant finalement le lien avec mon étrange survie à l'attaque d'Ishaï, m'affirme qu'il me croit. Il fronce les yeux lorsque je lui dévoile la vraie nature de Jake, et je le sens compatir à cette trahison. Il prend ma main dans la sienne et la serre avec douceur.

— Ce genre de chose n'arrivera jamais avec moi, tu en es consciente, n'est-ce pas ?

Pensive, je fixe du regard ses phalanges abîmées et cette scène du mur se disloquant peu à peu sous ses coups me revient en tête. Les bleus qui ornent ses doigts ne sont pas sans me rappeler d'autres moments où ses poings étaient tout aussi endommagés.

— C'était donc ça. Tu te blesses volontairement. Pourquoi t'infliger tout ce mal ?

— La douleur. Tout simplement. Parce que la douleur que je ressens me prouve que je suis bien humain.

Je prends son visage entre mes mains et le force à me regarder dans les yeux.

— Tu es la personne la plus humaine que j'ai rencontrée de ma vie. Ça, Aaron, j'ajoute en passant mes doigts sur sa bouche, puis effleurant ses paumes, c'est ce qui te rend humain. Ce que tu ressens là, au fond de toi, est bien plus humain que n'importe quelle douleur, je termine en posant ma main sur son torse, à l'endroit de son cœur.

— Merci, finit-il par répondre. Il est parfois dur de s'y retrouver.

Je l'embrasse avec douceur, et savoure le bonheur d'avoir mes lèvres collées aux siennes. Cela ne durera pas, susurre une petite voix perfide dans un coin de ma tête.

— Je vais devoir quitter le Centre, je souffle.

— Quoi ?

— Je dois partir à la recherche d'informations sur les Vampires, et sur ce que nous sommes. Il n'y a rien ici qui puisse m'aider.

— Mais Am...

— Je dois sauver mon frère, je le coupe. Le temps presse. Chaque jour qui passe est plus dangereux que le précédent.

— Tu ne... Quand as-tu pris cette décision ?

— Tout à l'heure.

— Comptes-tu emmener Alyssa et Tyler ?

Ma gorge se serre. Je calme mon angoisse montante.

— Non. Ils en ont bien assez fait pour moi. Il est temps qu'ils vivent pour eux, j'admets à mi-voix.

— Où iras-tu ?

— Là où je pourrai trouver des réponses.

— Tu es consciente que le Centre ne te laissera jamais t'en aller comme ça, n'est-ce pas ?

— Qu'ils essayent. Je leur ai donné un tiers de ma vie. Je ne leur dois plus rien.

— Tu sais qu'ils vont te traquer jusqu'à t'arrêter. Tu auras encore plus de monde à tes trousses.

— Pendant un temps, oui. Mais je doute qu'ils persistent indéfiniment. Ils ont bien assez à faire ici.

— Tu as vraiment pensé à tout alors ?

Je confirme d'un mouvement de tête.

— Et moi ? demande-t-il. Quelle est ma place sur cet échiquier ?

— Tu n'y es pas, je murmure en baissant la tête. Ta place est ici.

— Ma place est ici ? Amber, enfin, ma place est partout, exceptée ici. Ma vraie place, c'est là où tu es.

— C'est hors de question. Je refuse que tu m'accompagnes. Ce projet est le mien, et celui de ma famille. J'ai déjà suffisamment entraîné les gens que j'aime dans mes malheurs.

— Tu ne me feras pas changer d'avis. Quoi que tu en dises, cette quête est aussi la mienne. Grâce à toi, j'ai enfin l'opportunité de découvrir d'où je tiens cette deuxième chance. Je veux comprendre, Am, j'en ai besoin. Et puis, ajoute-t-il après quelques secondes, il te faudra quelqu'un pour surveiller tes arrières.

Ses propos me laissent pensive. Au fond de moi, je ne me vois pas entamer ce voyage seule, et j'ai terriblement envie qu'Aaron m'accompagne. Seulement ce serait un souhait égoïste. J'ai assez mis mes proches en danger pour au moins deux vies. Plus personne ne doit souffrir et encore moins mourir à cause de moi.

— J'ai besoin d'y réfléchir. Il va aussi falloir que j'annonce la nouvelle à Ty et Aly.

— Je ne te laisserai pas partir sans moi, conclut résolument Aaron.

Sa phrase se perd dans le silence. Pour le moment, mon seul désir est de profiter du temps qui m'est offert avec lui. Sa présence près de moi me réconforte, m'apaise, et me donne la force nécessaire.

Il m'invite dans le creux de ses bras et je m'y blottis avec bonheur. Pour l'instant, tout va bien.


Les ChasseursWhere stories live. Discover now