Chapitre 3, Partie 1

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Combien de fois m'étais-je attachée à un personnage de roman pour qu'il finisse par disparaître tragiquement ? L'idée que je m'étais faite de la mort au fil de mes lectures était que l'on voyait notre vie défiler devant nos yeux. Cela n'avait pas été mon cas. J'avais seulement songé Je meurs pour revivre. Puis, à cette étrange pensée avait succédé la certitude que je ne m'en sortirais pas aussi facilement.

La mort était sombre, triste. Sans lumière aveuglante ni aucun visage souriant. Rien qu'un voile noir, épais et douloureux, tout autour de moi. Et des cris. Nombreux. J'avais à mon tour essayé de crier, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Les odeurs étaient également présentes. Des odeurs de sang, et de renfermé.

Je tentai de bouger mon corps, qui n'était plus qu'une immense masse de souffrance. Les doigts d'abord. Je n'y arrivai pas. Inutile de chercher à déplacer une jambe, un bras ou ma tête. Je me contentai de faibles battements de paupières, qui s'ouvrirent finalement au prix d'un effort considérable.

Le plafond de ma chambre. Les murs éclaboussés de sang, tachant le papier peint gris. Étais-je réellement morte ? Je n'en étais plus si sûre. Ou bien le paradis n'était pas comme je l'imaginais...

Tout était silencieux. Même le tic-tac habituel de ma pendule, suspendue au-dessus de mon bureau, semblait avoir cessé. Et du sang, partout, sur mon lit, et sur moi.

Une sombre idée s'insinua dans mon esprit, aussi effrayante que rassurante. Il me paraissait de moins en moins probable que je sois morte. Alors étais-je... un vampire ?

Devais-je le regretter, moi qui pensais mon heure venue voilà quelques instants ? Ma transformation était-elle une alternative supportable à une mort irrévocable ?

Un bruit me parvint à ma droite. Un bruit de pas. Vifs et ténus. Pas Ishaï, priai-je. Mon vœu fut exaucé. Un garçon de plus d'une quinzaine d'années s'avança vers moi. Dans sa main se trouvait un poignard. Je me recroquevillai sur mon lit. L'inconnu continua sa progression, le visage concentré.

— Je..., balbutiai-je. Ne t'approche pas de moi... Je suis un vampire.

— Pas pour cette fois, souffla-t-il presque pour lui-même. Tu es toujours humaine.

Je m'étranglai de soulagement en entendant ces mots. Qui était-il ? Devais-je lui faire confiance ?

— Eden. Alyssa. Est-ce qu'ils...

— La petite rousse va bien. On a fait déguerpir Ishaï et sa bande juste avant qu'ils ne la transforment. Elle est inconsciente à cause du choc. Elle se réveillera bientôt.

— Et Eden ? Il est inconscient lui aussi ?

Le garçon fronça les sourcils d'un air sombre, comme si l'intérieur de son corps se crispait. Il garda pourtant sa posture. Ses magnifiques yeux gris prirent une teinte d'orage. Il s'assit sur le bord du lit avec précaution.

— Ton frère est mort, Amberly.

Mon monde s'écroula.

— Je... quoi ?

— Il est mort, répéta le jeune homme. Il a réussi à sortir de la cave où les Vampires l'avaient enfermé, et il s'est interposé entre Ishaï et toi au moment où Ishaï te mordait. Eden l'a détourné et Ishaï l'a attaqué. Il s'est sacrifié Amberly. Il t'a sauvé la vie.

Je fondis en larmes, de tristesse, de rage, et de désespoir. Je savais qu'il disait la vérité. Pourquoi m'aurait-il menti ?

Je me sentis faillir. Comme si j'étais sur une scène, une lumière braquée sur moi, et que tout s'effondrait, brûlait, puis m'écrasait. Pourquoi la Terre ne s'était-elle pas arrêtée de tourner ? Pourquoi les battements de mon cœur persistaient-ils ? Cela n'avait pas de sens. La planète entière aurait dû être en deuil. Car Eden était mort. J'en étais certaine.

Le garçon me prit dans ses bras sans un mot. Ses mains étaient douces, et fermes à la fois : rassurantes. Il me caressa le dos, et je gardai mon visage enfoui dans son sweat-shirt, dans le creux de son cou. Mes larmes continuaient de couler sans fin.

— Je sais, murmura-t-il. Je sais ce que tu ressens.

Pourquoi toujours prononcer ces mots ? Quel réconfort trouvions-nous à savoir que quelqu'un d'autre connaissait notre peine et l'avait vécue ? Croyait-on que la douleur des autres amenuisait la nôtre ?

Au bout d'un moment, je me décollai de lui. Le garçon n'avait pas eu un seul mouvement d'écart. Il m'avait laissé, en silence, pleurer Eden. Son sweat-shirt était humide désormais, mais mes larmes ne coulaient plus. Un feu de colère contre Ishaï s'embrasait en moi, me donnant plus de force.

— Je veux le voir une dernière fois.

— Son corps a disparu.

J'expirai très fort pour ne pas me remettre à pleurer.

— Allons, nous devons descendre maintenant, dit simplement le jeune homme.

Nous nous levâmes, et alors qu'en une seconde, il se trouvait déjà sur le pas de la porte, il s'arrêta et se retourna.

— Tu peux devenir comme moi, tu sais. Tu peux te venger.

Je m'avançai, et observais son visage tout près du mien. Ses yeux avaient retrouvé leur couleur gris perle et je les fixai, tentant de déceler de quoi ses mots étaient faits. Un calme m'habitait soudainement, mon cœur était tout à coup apaisé.

— Comme toi ? Mais qui es-tu ?

— Jake, me répondit-il. Chasseur de Vampires.


Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitWhere stories live. Discover now