Chapitre 2, Partie 2

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SIX ANS PLUS TÔT


Alyssa et moi avions treize ans. Nous étions meilleures amies depuis la maternelle. Comme chaque dimanche, nous nous étions retrouvées chez elle, pour ce qu'on appelait à l'époque l'après-midi entre filles. Nous dépensions nos quelques heures de liberté à expérimenter toutes sortes d'activités artistiques, culinaires et sportives, toujours plus extravagantes.

Mais cet après-midi-là, ma mère s'était présentée chez Rachel, la mère d'Alyssa, en pleurs. Mon cher paternel avait une fois de plus été brutal et grossier envers elle, avant de quitter la maison en trombe. Ma mère était allée chercher du réconfort auprès de son amie, et cette dernière l'avait accueillie à son domicile. Rachel nous avait ordonné d'aller plutôt jouer chez moi, afin de leur laisser un peu de calme. Je les revois l'une et l'autre, Rachel tenant affectueusement ma mère dans ses bras, toutes deux assises au bord du canapé, avec un air préoccupé, tandis que sa gestuelle trahissait une attitude indifférente, ce qui m'avait mis en rogne. À cette époque, j'avais une idée très précise, bien qu'erronée, de ce à quoi devaient ressembler les gens fortunés ; ils étaient altruistes pour se donner bonne conscience, mais au fond, ils ne se sentaient concernés que par leurs problèmes. Que savaient ces gens des difficultés familiales ? Eux qui avaient l'air de tout posséder, et paraissaient vivre harmonieusement, sans accrocs.

Alors en voyant la riche épouse Martinez, qui semblait ne connaître comme unique tourment que le choix d'une nouvelle télévision pour sa chambre à coucher, je me demandai si elle était la mieux placée pour consoler ma mère. Et pourtant je suivis ses ordres et pris le chemin de la maison, accompagnée d'Alyssa. Nous remontâmes plusieurs rues à pied et arrivâmes chez moi après vingt minutes.

Tu veux une boisson ?

Un Coca, s'il te plait.

Je sortis la canette du réfrigérateur et m'installai à table avec ma meilleure amie.

Adam Lewis va déménager, tu le savais ?

Je secouai la tête.

C'est dommage, il m'avait dit qu'il m'aimait bien, pépia Alyssa. Il m'a promis qu'on pourrait garder contact et qu'il ne m'oublierait pas.

C'était toujours comme ça avec Aly. Tout le monde l'adorait.

Quelqu'un toqua à la porte et je me tournai vers elle.

Qui ça peut être ?

Ta mère n'était pas près de rentrer.

Et Eden est avec ses amis.

Je haussai les épaules.

Je vais aller voir.

Je me dirigeai vers la porte et l'ouvris, découvrant trois hommes grands et intimidants, vêtus de vestes noires et de lunettes de soleil. Ici en Californie, tout le monde arborait un bronzage plutôt conséquent, et je me surpris à penser que ces messieurs ne venaient certainement pas de San Francisco, car leurs peaux étaient très claires.

Bonjour. Heu...

Le plus effrayant des trois, qui semblait être le chef, s'adressa à moi d'une voix grave.

Pouvons-nous entrer ?

Pourqu...

Ils ne me laissèrent pas le temps de terminer ma question et furent sur moi en un instant. Le plus grand me saisit brutalement, et me jeta à terre. Je hurlai de peur, et lorsque mon crâne toucha le sol, la douleur m'empêcha de me relever. J'entendis Alyssa crier à son tour, et les deux autres individus se dirigèrent vers la cuisine tandis que leur chef me maintenait sur le carrelage. Un liquide chaud engluait mes cheveux, et mes yeux se voilèrent rapidement.

Ils vont nous tuer, je pensai à cet instant. Je vais mourir.

Je tentai avec toute la force de ma volonté de me redresser. L'homme me souleva alors par le col de mon tee-shirt, sans ménagement, et me cloua au mur. Alyssa hurlait dans la pièce d'à côté. Je pouvais à peine respirer.

Mon agresseur approcha son visage du mien, et son souffle me retourna le cœur. Je pouvais distinguer sans mal chacun des détails de ses prunelles rouges, dans lesquelles dansait un éclat féroce. Il changea de prise et son pouce appuya sur ma gorge, longtemps, fortement, et je m'évanouis.

Comment est-il possible que tu sentes si bon ?

Je clignai des paupières, et repris connaissance. L'homme était à nouveau penché sur moi.

Il respira mes cheveux avec avidité, tandis que ses mains me maintenaient de force sur mon lit. Mes larmes coulèrent silencieusement, écœurée par ce jeu pervers contre lequel je ne pouvais rien.

Qui étaient-ils ? Qu'allaient-ils nous faire ? Pourquoi nous ? Où était Alyssa ?

Je veux goûter ton sang...

Quoi ?

L'homme posa ses lèvres près de ma clavicule et il y planta les dents. Ses canines pointues traversèrent ma chair et se figèrent dans mon cou. Ses yeux se révulsèrent de plaisir, avant qu'ils ne les ferment pour savourer le liquide chaud s'échappant de la plaie.

Des vampires. Nous avions affaire à des vampires. C'était la seule explication que je me donnais. J'étais en plein cauchemar.

Le choc laissa place à la peur et je me débattis. Je devais me sortir de là avant d'y laisser la vie. Mais soudainement, alors que je m'étais préparée à ne ressentir qu'une immense souffrance, un plaisir incroyable enveloppa mon épaule, mon cou, mon dos, et bientôt tout mon corps. Une sensation de chaleur, intense et profonde, venue du fond de moi-même, et de ma morsure dans le même temps. J'eus le désir que cela ne cesse jamais, jusqu'à ce que mon esprit se remette à fonctionner comme il le devait. Le vampire renforça sa pression sur mes bras, mais cela ne m'empêcha pas de me démener. Il grogna et éloigna son visage de mon cou. Je manquais de force.

Tu es parfaite, souffla-t-il avant de poser sa bouche sur la mienne.

Je n'avais jamais embrassé qui que ce soit. Ce fut mon premier baiser, et j'en gardai un souvenir terrifiant. Sa bouche avait le goût de sang, et je réalisai soudain qu'il s'agissait du mien. La sensation fut répugnante, mais il s'acharna sur mes lèvres. Tout son corps était maintenant lourdement appuyé sur le mien. Je pleurai et tentai de dégager ma tête, alors il rompit le baiser.

Sidérée, je le regardai reprendre son souffle, assis au bord de mon lit, un sourire glorieux sur le visage. Un pendentif à son nom brillait autour de son cou. Ishaï. Il saisit mon poignet dans ses grandes mains, et me mordit à nouveau. L'impression fut semblable, tout mon être était confus par l'enivrement.

Je vais faire de toi un Vampire, Amberly.

L'unique pensée qui dominait mon esprit fut oubliée lorsque je perçus un cri. Un son, reconnaissable entre mille : une voix. Celle de la personne que j'avais à la fois le plus envie d'entendre, la seule à pouvoir me sortir d'ici, et que je redoutais par-dessus tout de trouver en présence de ces hommes. Son hurlement paniqué résonna dans la maison. Il me terrifia plus que tout ce que je venais de vivre ; et il me soulagea à l'instant suivant. Mon grand frère, Eden, criait mon prénom :

Amber !

Le Vampire grogna, je perçus un fracas en bas et la voix d'Alyssa mêlée de pleurs monta de l'escalier.

Ne leur faites pas de mal...

Ishaï ne réagit pas, resta l'oreille tendue vers la porte dans l'écoute d'une autre parole.

S'il vous plaît, suppliai-je.

Le temps presse, gronda à nouveau le vampire.

Il se courba sur moi une fois de plus, glissa sa tête dans mon cou, et y planta les canines sans précautions. Brutalement. J'eus l'impression qu'un poison s'insufflait dans mes veines.

Cette fois-ci, la douleur fut inimaginable, et le vide s'empara de moi.

Les ChasseursWhere stories live. Discover now