Chapitre 20, Partie 2

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Notre relation est de plus en plus agréable. Sans parvenir à déterminer la nature du lien qui nous unit, je constate toutefois qu'il est d'une extrême simplicité de côtoyer Aaron, ce qui est un étonnant paradoxe : comment est-il possible que deux êtres aussi sombres et contradictoires réussissent à ce point à mettre leur complexité de côté ?

C'est lorsque nous en arrivons au dessert que les choses se gâtent. Je suis encore coupée par le vibreur du téléphone, posé sur la table. Numéro masqué, toujours.

— Qui cherche tant à te joindre ? je m'exclame, de plus en plus agacée.

— La section administrative du Centre, je présume. Il doit s'agir d'un problème de paperasse, fait nonchalamment Aaron en haussant les épaules. Il tente de ne pas laisser paraître son malaise sous un visage suffisant. Cela peut attendre que nous rentrions.

— Tu mens, j'affirme en lorgnant son téléphone qui vibre à nouveau.

Je le confronte en élevant la voix. Ces appels à répétition m'inquiètent. Qui peut bien être aussi insistant ? Le ton monte, tout comme la tension. La soirée qui avait si bien commencé tourne au vinaigre ; et ce fichu téléphone continue de vibrer.

— Bon Dieu, réponds donc une bonne fois pour toutes.

Cette fois, impossible de nier que quelque chose ne va pas. Le son du vibreur finit par avoir raison de lui. Il jette un coup d'œil nerveux à l'écran du mobile, avant d'entamer un geste pour le ranger dans la poche de sa veste. Je l'intercepte et lui attrape la main. Le téléphone sonne toujours.

— Réponds, je lui ordonne. Réponds où c'est moi qui le ferai.

— Je ne peux pas.

Il resserre sa poigne sur le portable. Ses pupilles dilatées trahissent la peur. Que cache-t-il ?

— S'il te plait, Amber...

— Réponds, Aaron.

Il fait non de la tête, avec une expression suppliante. Je soutiens son regard. Le téléphone finit par se taire, et il décrispe sa main, comme vaincu. Je m'empare du mobile au moment où la notification annonçant un message vocal sur le répondeur apparaît. Je clique dessus et approche l'appareil de mon oreille. Ce que j'entends me glace le sang.

 Aaron... Tu ne pourras pas nous éviter éternellement. Et puisque tu ne sembles pas être disposé à donner suite à mes appels, nous n'allons pas avoir d'autre choix que de nous rencontrer. La raison pour laquelle tu as décidé d'agir seul et de t'infiltrer dans cet enfer m'échappe encore, mais tu ne pourras pas te soustraire à nous indéfiniment. Je ne pense pas devoir te remémorer les comptes que tu as à nous rendre. Tu connais les règles depuis suffisamment longtemps, Aaron. Les Vampires n'opèrent pas seuls. Et ils ne trahissent certainement pas les leurs... Alors nous nous rencontrerons prochainement, afin que tu nous fasses part de ce que tu sais et ce que tu caches. Si jamais tu tentes de nous faire faux bond, je m'occuperai personnellement de toi. Sois-en sûr, je n'hésiterai pas une seule seconde à te planter moi-même un poignard en plein cœur.

La voix grave et glaciale se tait enfin. Je suis prise de nausées. Mon visage se défait tandis que je dévisage, bouche bée, l'homme qui est face à moi. Un imposteur. Un inconnu. Un Vampire. Son expression est le reflet de la mienne. Le son du téléphone était suffisamment fort pour qu'il ne perde pas non plus une miette du message vocal. Assis à cette table, au milieu de ce restaurant à la cuisine délicieuse au cœur de cette fabuleuse ville, on dirait que le ciel nous est tombé sur la tête.

— Amber, ce n'est pas ce que tu crois..., tente-t-il avec désespoir.

Je me force à inspirer. Ne pas faire une scène. Simplement saisir mon sac à main, et empoigner le pistolet aux balles d'argent qui s'y trouve. Je dois bloquer les émotions qui risqueraient de me détruire. La haine avant la tristesse. La rancœur avant la peine. Je ne compte pas le tuer, là, devant tout le monde, mais s'il est bien un Vampire, je dois me protéger de ce dont il est capable.

— Comment as-tu osé ?

— Laisse-moi t'expliquer, s'il te plait.

Je suis vidée de toute énergie, accablée par un poids insupportable. Sa trahison me blesse plus que n'importe quelle arme. Pourtant, je fais taire mon cœur meurtri. Ce n'est pas le moment de m'apitoyer sur mon sort. Mes méninges fonctionnent à toute allure. Que faire ? En quelques secondes, je me repasse le fil de ces derniers mois, et mesure les différentes options qui s'offrent à moi. Les petites voix de Kristina, Alyssa et Tyler résonnent dans ma tête. Comment as-tu pu être aussi inconsciente ? Je te l'avais dit.

Je me penche vers Aaron, comme si j'étais sur le point de l'embrasser par-dessus la table, et lui murmure froidement :

— Tu vas faire exactement ce que je t'ordonne de faire. Tu vas sortir doucement tes clés de voiture de ta poche, et me les donner. Au moindre mouvement douteux de ta part, je te tire dessus.

— Amber. Non.

— Tout de suite, j'articule lentement, pointant mon pistolet sur lui par dessous la table.

Il s'exécute, livide. Je ne le quitte pas des yeux.

— Tu as des menottes dans la voiture ?

— Oui. Dans la boîte à gants.

— Très bien, écoute-moi attentivement. Nous allons payer au comptoir. Tu te tiendras devant moi. Sur ton dos sera braquée mon arme. Si tu tentes de fuir, ou de t'attaquer à qui que ce soit, je te colle un maximum de balles dans le corps, en espérant que l'une d'elles touche ton cœur. Sitôt que nous serons sortis, tu mets tes mains derrière toi, et tu avances. On est d'accord ?

Il hoche la tête.

— Je veux te l'entendre dire.

— On est d'accord.

— Très bien. Lève-toi, et prends ton manteau.

Raisonnable, il suit mes instructions à la lettre. Je ne pense toujours pas qu'il me tuerait, mais sa trahison en dit déjà long. Nous avançons lentement jusqu'à la caisse, et je fais en sorte que personne ne remarque notre petit manège.

Il paye, très silencieux. Je souris au personnel d'accueil et les remercie, mettant à profit mon jeu d'actrice. Ils n'y voient que du feu. Nous arrivons enfin à la porte. Je presse le canon de mon arme dans le creux de son dos et lui demande :

— Tu te souviens de ce que je t'ai ordonné de faire ?

— Parfaitement.

— Alors avance. N'oublie pas que si tu tentes de fuir, je ne te raterai pas. Tu le sais mieux que personne.

Il laisse échapper un rire crispé. Puis, nous sortons du restaurant.

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitWhere stories live. Discover now