Chapitre 22, Partie 2

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Lorsque je me réveille, mon esprit est embrumé et je demeure confuse quelques minutes durant. Je suis comme anesthésiée. Il est vingt heures, et je n'ai rien à faire. Je descends de ma cachette, traverse le gymnase, et le reste du bâtiment. Je passe rapidement devant la cafétéria bondée, et me faufile jusqu'à l'entrée du Centre.

Quand les portes s'ouvrent, un vent frais vient m'envelopper et pour l'une des premières fois de ma vie je ressens un intense réconfort à me retrouver dehors. Tout est calme. Les dernières lueurs du jour décroissent peu à peu, les ombres s'évaporent, les contrastes disparaissent, et l'horizon s'assombrit. Pourtant la nuit est très claire ; les grandes villes ne sont pas loin. Les petits bruits nocturnes me rassurent, et je me sens soulagée d'être seule. Je respire bien mieux, comme si tous mes tracas avaient pollué l'intérieur du Centre au fil des jours d'un air empoisonné et entêtant. J'ai l'impression de me rétablir d'une longue migraine.

Je m'assieds à même le macadam, humide. Un orage vient de passer. Je ferme mes yeux et laisse mes pensées divaguer, oubliant Aaron, et Jake, heureuse d'être enfin au calme.

J'entends soudain la porte s'ouvrir à nouveau, et des pas s'approcher derrière moi.

— Bordel, Amber.

Avant que je n'aie le temps de réagir, Aaron s'agenouille devant moi et ses lèvres s'écrasent sur les miennes avec force. La surprise ne dure qu'une demie seconde, avant que ses mains ne s'accrochent dans mes cheveux et que tous mes doutes et ma détresse ne s'évaporent enfin.

Il m'embrasse comme l'autre jour, avec la même intensité. Ses baisers enflamment ma poitrine. Très vite, mes doigts ne peuvent résister à la tentation de parcourir son corps. Il se colle un peu plus à moi et grogne de plaisir. Tandis que ses lèvres survolent mon cou, je ferme les yeux et respire avidement son odeur, qui m'apaise instantanément, comme une drogue.

Puis la tension s'amenuise, son souffle tout d'abord saccadé se calme, et il enfouit son visage dans mes cheveux. Nous nous serons quelques secondes l'un contre l'autre.

Sans un mot, il se dégage avec douceur. Il ne me quitte pas du regard tandis qu'il se recule pour s'asseoir face à moi, sans se soucier du sol mouillé. Nos genoux se touchent et les miens tremblent, alors il pose ses mains dessus.

— Je suis désolé. Je m'en veux. Je t'ai repoussée d'une horrible façon ces derniers jours. Tu m'as terriblement manqué.

Interdite, je le questionne d'un froncement de sourcils. Son visage transpire la sincérité. La lumière de la lune l'éclaire directement et le hâle d'une beauté sans nom, tel un ange déchu.

— Pourquoi ?

— Je voulais te parler, je t'assure. La soirée du restaurant m'a entêté jusque dans mon sommeil. Mais c'était trop dangereux.

— Pourquoi ?

— Juste après notre rendez-vous, l'autre soir, j'ai reçu un appel du même Vampire qui m'a laissé ce message, Kenneth. L'un de ses sbires nous a vus à New York. Il nous a vus ensemble...

— Mais je...

— ... et Kenneth a surtout vu en toi un moyen de faire pression sur moi. Heureusement, ils n'ont pas encore compris que je n'étais plus un immortel. Maintenant que je les ai quittés, ils veulent ma peau, et que je les aide à détruire le Centre. Et pour cela, ils n'hésiteront pas à s'en prendre à toi.

— Mais Aaron, cela ne change...

— Si, évidemment que ça change tout.

Il saisit dans ses mains mon visage.

— À l'heure qu'il est, une bande entière de Vampires en a contre toi, par ma faute. Ils vont te traquer. Ils vont me menacer davantage. Tu n'imagines pas toutes leurs ressources, combien de gens sont prêts à les aider.

Il me fixe de ses yeux sombres.

— Tu es en danger. Il pourrait t'arriver n'importe quoi. Je ne pourrais pas le supporter.

Je me penche vers lui, et je le prends dans mes bras. Je remarque à ce moment-là combien il est tendu. C'est si étrange de l'avoir lui, contre moi. Je lui caresse doucement les cheveux et lui murmure à l'oreille :

— Nous allons nous protéger l'un l'autre. Je ne laisserai rien t'arriver non plus. Je te le promets.

Mais j'ai besoin de mettre au clair mes doutes persistants.

— Que veux-tu, Aaron ?

Il comprend tout de suite le sens de ma question.

— Je te veux, toi. Je veux tout ça. Et pardon pour ces jours d'évitement. Cela ne se reproduira pas.

Puis après un silence :

— Je t'ai manqué ?

Je hoche la tête en guise de réponse, et il rit doucement.

— C'est bien l'une des premières fois que je t'entends vraiment rire.

— Effectivement, ça ne m'arrive pas souvent. Peut-être davantage dorénavant ? lance-t-il avec une once d'espoir.

Il me caresse la joue.

— Restons discrets, si tu le veux bien. Je me méfie des réactions quant à notre relation. J'ai déjà assez de difficultés à tenter de ne pas me faire remarquer plus que nécessaire, alors, si nous pouvions...

— Ça me va, je le coupe en hochant la tête. Vraiment.

— Qu'est-ce que tu faisais dehors, toute seule ? demande-t-il après un nouveau silence.

— J'avais besoin de prendre l'air.

Il acquiesce. Je sais qu'il comprend.

— Tu veux en parler ?

Je secoue la tête négativement.

— Une autre fois, peut-être.

Comment expliquer à la personne qu'on aime que l'on tente de fuir un double chagrin d'amour, dont l'un des deux partis est mort, et l'autre un Vampire redevenu humain ?

— Je ne tourne vraiment pas rond, je soupire, un léger sourire aux lèvres.

— Il m'arrive de me dire la même chose.

Les gouttes recommencent à tomber et Aaron rabat la capuche de sa veste. La lune est maintenant masquée par les nuages, et je distingue à peine son visage. L'orage gronde. Rapidement, mes cheveux ruissellent.

— Tu ressembles à cette pauvre Cendrillon avant que sa bonne fée n'intervienne.

Je ne saurais dire pourquoi nous restons encore de nombreuses minutes sous la pluie, à se fixer sans rien dire. Comme si l'averse effaçait les derniers débris de douleur de nos cœurs. Lorsqu'elle se transforme en tempête et que les gouttes deviennent trop fortes, nous courons nous mettre à l'abri sous l'auvent.

— Que veux-tu faire ? demande Aaron.

— Me vider la tête, je soupire. M'échapper d'ici.

— Tu dis ça sérieusement ?

Je n'ai même pas le temps de lui répondre qu'il est déjà en ligne avec Kristina.

— Je sors quelques heures, avec Amber Johnson. Oui. Nous prenons ma voiture. Je reste joignable si besoin. Merci, Kristina, à demain.

Il raccroche et m'entraîne avec lui, direction le parking.

— Tu n'as pas peur de ce qu'elle va penser ?

— Je me fiche de ce qu'elle va penser. Kristina est intelligente, et lucide. Elle comprendra.

Comme l'autre jour, il me tient la portière avant d'aller s'installer du côté conducteur. En quelques instants nous nous retrouvons sur la route bordée d'arbres qui s'éloigne du Centre, et enfin il tourne la tête vers moi et me sourit. Un sourire sincère, immense.

— Où m'emmènes-tu ?

— Tu ne le sauras qu'une fois arrivée.

Les ChasseursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant