Chapitre 3, Partie 3

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Jake monta dans la voiture et s'installa derrière le volant. Il me vint à l'esprit qu'il n'avait certainement pas l'âge requis pour conduire dans cet État, mais cela ne paraissait pas l'inquiéter outre mesure. Il inséra son Chevrolet entre deux autres véhicules aux vitres teintées et quitta ma rue sans aucun mot.

Je ne pus m'empêcher de tenter de marquer dans mon esprit chaque détail de ce qui avait été mon quotidien jusqu'à cet après-midi, en vain. Les maisons de l'avenue de Nob Hill semblaient déjà ne plus vouloir rester figées dans ma mémoire. Je gardai donc le silence, la tête tournée vers la fenêtre en regardant défiler le paysage sans le voir. La présence de Jake me rassurait et m'embarrassait en même temps.

Nous roulâmes peut-être une demi-heure, puis, aux abords de Pleasanton, Jake se gara sur le bord de la route et se retourna vers moi.

— Tu n'as pas envie de dormir?

Je secouai négativement la tête.

Jake soupira. Il sembla m'examiner, et me décrocha enfin un sourire étincelant, les yeux brillants. Il tapota l'appuie-tête du siège passager.

— Allez, viens à côté de moi.

J'aurais voulu ne pas paraître autant soulagée qu'il me le propose, mais je ne pus m'en empêcher. Je sortis de la voiture et allai m'installer à côté de lui. L'air extérieur était brûlant; nous nous approchions du Nevada.

À l'avant, l'odeur de vanille épicée de Jake était bien plus présente, et embaumait l'habitacle. Il avait retiré son sweat et ne portait plus qu'un tee-shirt blanc très fin. Il chaussa ses lunettes de soleil et se tourna vers moi en dévoilant ses dents. Il ne s'arrête jamais de sourire ?

— Tu as chaud? s'enquit-il tandis qu'il reprenait la route.

— Oui, énormément.

Il abaissa les fenêtres et l'air ardent s'engouffra dans l'habitacle, faisant voltiger ses boucles châtain et mes longues mèches blondes. Je m'obstinai à détailler les reflets cuivrés des cheveux de Jake lorsque le soleil s'y accrochait vivement, encadrant son visage. La lumière formait un nimbe autour de sa peau hâlée, détachant le profil de son nez droit, sa bouche parfaite, et sa mâchoire forte. J'avais beau réfléchir, je ne savais toujours pas quoi dire alors qu'il paraissait très à l'aise. Pourtant j'avais besoin de parler, pour m'empêcher de repenser à cette journée. Distraite, je passai machinalement la main dans mon cou, et me rappelai les dents d'Ishaï transperçant ma peau. Je baissai le pare-soleil et détaillai mon cou dans le miroir. Je me rendis compte que la marque de morsure avait presque disparue et que je ne ressentais plus aucune douleur.

Jake constata mon froncement de sourcils.

— Qu'y a-t-il?

— Rien, rien du tout.

— Tu as mal quelque part?

— Non, ça va.

Je décidai de détourner la conversation.

— Comment devient-on un Vampire?

— Par une morsure. Un Vampire plante ses canines dans ton cou, ou ton poignet généralement, et il te vide de ton sang jusqu'à ce que tu en meures. Et ensuite, il te réinjecte son venin à la place.

— Alors... Pourquoi n'ai-je pas été transformée, moi aussi, si je me suis fait mordre?

Les yeux de mon chauffeur prirent de nouveau leur teinte d'orage, derrière le filtre de ses lunettes de soleil, celle qui n'annonçait rien de bon.

— Tu as manifestement eu de la chance, répondit-il lentement, pesant ses mots. Ishaï n'a apparemment pas eu le temps de t'insuffler son venin, et ton cou a dû guérir.

Je repensai à Eden qui n'avait pas eu autant de chance que moi. À l'heure qu'il est, il était mort. Mon frère était mort.

Sans crier gare, des larmes coulèrent de nouveau le long de mes joues. Je m'autorisai à craquer. Des sanglots de petite fille; celle que je m'étais refusée à être jusqu'à présent. Je pleurai la mort et la douleur, dont je me sentais maintenant entièrement imprégnée. Jake restait concentré sur la circulation, me laissant pleurer Eden jusqu'à ce que je sois trop épuisée. J'étais exténuée, mais j'avais besoin d'une réponse.

— Pourquoi chasses-tu les Vampires?

Le visage de Jake se crispa de manière infime. Sa mâchoire se contracta et il plissa les sourcils.

— Pour la même raison qui te poussera bientôt à apprendre à te battre. Je veux me venger.

J'ouvris la bouche pour lui demander de quoi il voulait justice, mais il me devança.

— Tu devrais vraiment dormir, la route est encore longue.

J'opinai. Une larme solitaire roula sur ma joue et je fus surprise lorsque Jake l'essuya de son pouce.

— Tout ira bien, Amberly. La douleur diminue avec le temps.

Jamais je n'avais cru à de telles paroles et pourtant je priai pour que cette fois-ci elles fussent vraies.

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitWhere stories live. Discover now