Chapitre 18, Partie 1

605 71 3
                                    

Cela fait presque une heure que la visite a commencé lorsque nous passons à une nouvelle salle de la galerie où se trouvent des peintures du dix-neuvième siècle, dont un très célèbre autoportrait de Vincent Van Gogh. Tandis que les visiteurs franchissent la porte, suivant le guide qui entame déjà son explication, Aaron m'attrape soudainement la main, pose un doigt sur ses lèvres pour m'enjoindre au silence et m'entraîne de l'autre côté. Il me conduit vers une section du musée encore inexplorée. Nous avançons rapidement, sur la pointe des pieds, nos mains toujours enlacées. Je me retiens de rire pour ne pas nous faire repérer. À un moment donné, nous apercevons une lumière au fond d'un couloir et hâtons le pas. Aaron nous dirige vers une nouvelle salle et nous nous arrêtons devant un grand tableau représentant une pièce sombre dans laquelle sont regroupés des hommes vêtus de toges, entourant l'un d'eux, assis sur un lit, pointant un doigt vers le ciel. Nous nous installons à même le sol, dissimulés derrière un banc. Mon cœur bat à la chamade et je laisse échapper un petit rire.

Lorsque ma respiration se calme enfin, je me tourne vers Aaron. Dans la pénombre du musée, je distingue tout juste les contours de son visage.

J'adore plus que tout le sentiment que procure l'obscurité. L'apaisement. L'annihilation. Ce sentiment de perdre ses repères géographiques, l'impression que tout paraît plus proche de soi. Assis à mes côtés, Aaron me semble à la fois cent fois plus près et cent fois plus loin. Je ne le vois pas, mais je le ressens par tous mes autres sens.

— J'ignorais que tu étais passionné d'art, je souffle.

— Tu ignores beaucoup de choses à mon sujet. À vrai dire, c'est votre cas à tous. Toutefois, tu en sais déjà beaucoup, comparé aux autres.

— Comme le fait que les Vampires de Philadelphie te traquent ?

Un long silence suit ma question.

— Pourquoi ? j'insiste.

Une nouvelle fois, ma voix se perd dans le silence.

— Il va pourtant falloir que tu m'expliques pourquoi. Je n'ai toujours aucune preuve que tu n'es pas un immortel. Tu vas devoir m'en convaincre mieux que ça, si tu ne veux pas que je te dénonce.

— Nous savons tous les deux que tu ne le feras pas.

— Tu t'y risquerais ? As-tu donc plus peur de ce qui t'attend dehors que de te faire démasquer ?

Aaron tâtonne du bout des doigts, effleurant par mégarde mon poignet. Il finit par trouver sa petite lampe de poche et l'allume, dirigeant le faisceau de lumière sur le tableau qui nous domine.

— Tu vois cet homme, au milieu, vêtu d'un drap blanc ? C'est Socrate. Un philosophe athénien mort quatre cents ans avant notre ère. À la fin de sa vie, Socrate était persuadé que d'autres dieux que les dieux grecs existaient. Pour cette raison, il fut accusé de corruption de la jeunesse, de négation des divinités grecques et de foi en de nouvelles figures religieuses. Lors de son procès, au lieu de se défendre, il choisit de faire le récit de sa vie, ce qui lui valut d'être reconnu coupable. Pourtant, il ne démordit jamais de ses croyances et de sa vérité. Il fut condamné à mort, par le poison. L'histoire raconte qu'après son jugement, alors qu'il attendait d'être exécuté, il eut l'opportunité de s'évader et d'échapper à son sort, mais il ne le fit pas. Il était trop droit et trop respectueux des lois qui dirigeaient sa cité. Le jour de sa mort, et tandis que tous ses disciples détournaient les yeux ou pleuraient, il avala fièrement le poison, heureux d'être resté fidèle à ses convictions, et persuadé de l'immortalité de son âme.

Je l'écoute raconter l'histoire de ce philosophe grec, pensive, tentant d'en comprendre le sens caché.

— Je le trouve très courageux, reprend Aaron, qui éteint à nouveau sa lumière. Il faut beaucoup de bravoure pour revendiquer son identité et ses croyances en allant jusqu'à défier la mort. Socrate a préféré mourir plutôt que d'être considéré comme un traître ou comme un voleur. Il aurait pu s'enfuir et sauver sa vie, mais ç'aurait été donner raison aux juges.

Les ChasseursWhere stories live. Discover now