Chapitre 17, Partie 1

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Alors que je m'apprête à sortir de la salle pour rejoindre mes amis, Karl s'approche de moi et m'arrête.

— Est-ce que je pourrais te dire deux mots ?

Étonnée, je réponds par l'affirmative avant de m'éloigner avec lui de quelques pas. Lorsqu'il est sûr que personne ne nous accorde d'attention, il prend la parole.

— Je tenais à te présenter mes excuses, pour avoir mentionné ton frère, tout à l'heure. Je ne voulais pas te mettre dans l'embarras. J'ai bien conscience que ta situation est éprouvante. Malheureusement, tu sais comment fonctionne le Centre.

— Rien n'est jamais trop dur à vivre, je complète.

Puis, après un silence :

— Merci Karl.

— Je n'avais pas eu l'occasion de vous le dire, mais je suis heureux que vous soyez de retour, tous les trois. Vous nous avez manqué.

Étrange de voir combien sa voix grave et sa carrure de judoka détonnent avec sa douceur. Lui aussi m'a manqué. Il est sans conteste l'un des mentors de mon adolescence, et, plus important encore, il a toujours cru en moi. Je lui tends une poignée de main, qu'il accepte, et recouvre ma main de ses énormes paluches noir-ébène.

— Prends soin de toi, Amber.

Je hoche la tête, touchée par sa sollicitude, puis le laisse.

En quittant la section informative, je repère mes deux amis qui m'attendent, un peu plus loin, assis sur des fauteuils. En me voyant arriver, ils me hèlent. Pourtant, avant que je ne puisse m'approcher davantage, Aaron surgit littéralement de nulle part, m'attrape le bras, et m'entraîne dans un recoin à l'abri des regards. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous, aujourd'hui ?

— Eh !

Il s'appuie nonchalamment contre le mur à la manière d'un top model, condamnant au passage ma seule issue possible.

—Salut, me lance-t-il, l'air de rien.

Quoi ? Je le questionne du regard, interdite.

— Eh bien quoi ?

— Pourquoi me dis-tu salut alors que l'on vient de passer deux heures côte à côte dans la même pièce ?

Il me décroche un sourire. J'hallucine de plus en plus. Pourquoi est-il gentil avec moi ? Pourquoi a-t-il enclenché le mode charmeur tout à coup ? Pourquoi me happe-t-il avec ses yeux brillants ?

— J'aimerais t'inviter à sortir, ce soir.

Le ciel me tombe sur la tête. J'ouvre la bouche, médusée.

— Tu... tu aimerais m'inviter à sortir, toi ?

— Oui, me répond-il avec une moue séduisante, amusé.

Amber, tu deviens folle, ma pauvre fille.

— Je n'y comprends rien. Il y a encore une semaine, tu me détestais. Qu'est-ce qui a changé ? je demande.

Je suis perdue entre la suspicion et l'incompréhension. Lui a l'air de s'amuser comme un petit fou à me faire tourner en bourrique.

— Je pourrais te retourner la question.

Alors que je balbutie pathétiquement, prise au dépourvu, il enchaîne :

— Retrouve-moi ce soir à vingt heures dans le hall. Fais-toi belle, mais ne mets pas de robe, c'est d'accord ?

Il attend mon acquiescement pour me souhaiter une bonne journée, puis il s'éclipse. Je m'en vais rejoindre Aly et Tyler avec la ferme intention de parcourir les dix mètres qui me séparent d'eux sans accrocs.

Lorsque je m'approche, ils froncent tous les deux les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il voulait ? s'enquiert Tyler.

Je hausse les épaules, perplexe.

— Rien d'important. Je n'ai pas bien saisi moi-même.

Qu'est ce qui me prend de mentir à mes amis ? À propos d'un homme, en plus. Et alors que cela concerne ma propre sécurité.

— Mouais...

— Am, ça va ? Pas trop secouée par la réunion de tout à l'heure ? me fait Aly, pour changer de sujet.

— Ça va. C'était à prévoir.

Je m'assieds avec eux sur ces confortables fauteuils bleus. Je médite quelques instants sur cette réunion et sur les paroles prononcées par la directrice.

— C'est plutôt Kristina, qui me tracasse.

— Toi aussi, elle ne t'a pas paru sincère ? Nous nous sommes fait la même réflexion, Aly et moi.

J'acquiesce.

— Elle ne nous dit pas toute la vérité. Il faut que nous reprenions tout depuis le début. Les informations que nous avons trouvées dans le rapport, ce que nous avons réellement vu à Philadelphie, et ce que nous avons appris aujourd'hui.

Tyler laisse échapper un bâillement sonore.

— On verra ça une autre fois. Je sors faire un tour avec Izzy cet après-midi.

Sa tirade refroidit l'atmosphère en une fraction de seconde. Aly fronce les sourcils. Pour dissiper le malaise ambiant, j'ajoute :

— De toute façon, il faut que j'aille parler à Abbie. On s'occupera de Kristina plus tard.

Je trouve finalement assez de courage pour aller toquer à la porte d'Abbie. La jeune femme m'ouvre la porte, dévoilant une expression tellement glaciale que j'en perds tous mes moyens. Elle me dévisage, attendant une réaction. Je balbutie :

— Est-ce qu'on peut parler ?

Comme tout à l'heure, elle hoche simplement la tête, et m'invite à la suivre. Nous traversons deux couloirs et nous installons dans une petite salle de réunion, vide. Elle tire une chaise et je m'assieds face à elle. Nous sommes séparées par au moins deux mètres. Elle fait tout pour mettre de la distance entre nous.

Je me racle la gorge, mais aucun son ne semble vouloir sortir de ma bouche. Elle attend toujours, sans daigner m'apporter une quelconque empathie. J'inspire un grand coup.

— Alors... Tu as vu mon frère ?

Nouveau signe de tête.

—  Quand était-ce ?

Elle prononce enfin quelques mots.

— Il y a près d'un mois et demi. Mais je n'ai su qu'après ton retour que c'était lui.

— Qu'est-il arrivé ?

Elle se penche vers moi et me fixe droit dans les yeux.

— Nous étions en mission à Philadelphie. J'étais en quatuor avec Dani, Scott, et Eric. Ton frère et un autre Vampire de sa bande nous ont attaqués de plein fouet. Ils ne se sont pas cachés, ne nous ont pas pris par surprise. Ils sont simplement apparus, face à nous, et nous ont sautés dessus. J'avais rarement vu une telle témérité et une telle puissance. Ton frère m'a enserré la gorge et a tenté de me mordre, directement dans le cou. Il m'a étranglé et j'ai perdu mon souffle, jusqu'à perdre totalement connaissance. Dani l'a empêché de me tuer.

— Comment était-il ?

— Grand. Une impression de froideur et de bestialité. Il avait l'air complètement dominé par ses pulsions, comme s'il était la marionnette de quelqu'un d'autre. Ses yeux étaient vides.

Elle laisse planer un silence.

—  Pour être tout à fait honnête, il était terrifiant.

Incapable de répondre, je subis ses paroles. J'ai la nausée. Finalement, après quelques minutes, je finis par murmurer :

— Je suis désolée. Sincèrement.

Puis je quitte la pièce, fuyant sans pouvoir ajouter quoi que ce soit.

Les ChasseursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant