Chapitre 28, Partie 1

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Je demeure silencieuse, pensive. Il hésite avant de poser sa question :

— Ai-je raison de croire que tu rêves souvent de lui ?

Je hoche la tête. Il m'encourage à continuer. Je lui explique ma faculté de mémorisation de mes songes, et aussi l'importance que je leur ai toujours accordée. Il m'écoute attentivement.

— T'arrive-t-il encore de rêver de ta vie d'avant ? De tes parents ?

— Je ne crois pas que ça ne soit arrivé plus d'une fois ou deux depuis que je suis partie. Pour être honnête, j'ai très peu de souvenirs d'avant mes treize ans. Comme si ma mémoire avait fait un tri et décidé de m'aider en effaçant tout ce qui aurait pu me rendre nostalgique ou triste.

— Alors tes parents ne te manquent pas ?

— Pas vraiment, j'admets.

Il fut un temps où je me sentais coupable de ne plus ressentir l'envie de revoir ma mère. Mon père, bien sûr, était exclu de cette équation. Cela faisait déjà bien longtemps qu'il ne faisait plus partie de ma vie. Puis j'ai finalement compris au fil des années que mon cerveau avait fait en sorte que je souffre le moins possible de la séparation avec ma mère en occultant mes sentiments pour elle, et que c'était pour le mieux.

— Et toi ? je fais, en changeant de sujet. Ai-je maintenant le droit de te poser des questions sur ton passé ?

Hésitante, je dégage une mèche de cheveux de son front, attendant qu'il m'arrête. Mais il ferme paisiblement les yeux et soupire de contentement, alors je continue.

— Que voudrais-tu savoir ?

— As-tu des frères et sœurs ?

— Un frère et une sœur, oui, répond-il en hochant la tête.

— C'est vrai ?

— Oui. Ma grande sœur, Hailey, a trente-sept ans, et mon petit frère, Caleb, en a vingt-huit.

— Comment sont-ils ? je souffle, fascinée.

— Eh bien, à vrai dire, cela fait des années que je ne les ai pas vus. Lorsque j'ai été transformé, Kelly et le Centre ont fait croire à ma famille que j'avais disparu au cours d'une randonnée en montagne, et que mon corps n'avait jamais été retrouvé. Mais je me rappelle de mon enfance auprès d'eux. Nous adorions aller nous promener, vivre de grandes péripéties loin de la ville, aller camper dans les parcs du Texas pendant plusieurs jours. Mes parents nous ont toujours donné le goût de la découverte et de l'aventure... de la vie, en fait. Bien sûr, quel meilleur endroit pour cela que La Nouvelle-Orléans ? Tout était si simple, nous avions des relations si naturelles. Nous ne roulions pas sur l'or, mais il y a une chose que nous avions, et qui changeait tout : la gratitude.

— Où as-tu étudié ?

— À l'école des Arts, à La Nouvelle-Orléans. Je voulais être auteur-compositeur. Mais je n'y suis pas resté longtemps.

— Alors tu aimes tant que ça la musique ? je le questionne, surprise.

— Oh oui. Et ce métier m'aurait permis de faire vivre mon autre passion, celle de l'écriture.

— Donc j'imagine que tu joues ?

— Du piano, principalement.

Subjuguée d'en apprendre davantage sur lui, je continue mon interrogatoire :

— Quelle était la raison de tes déménagements à l'étranger ?

— Eh bien, au bout d'un an d'études à l'Université, ma soif d'aventure est revenue à la charge. J'étais suffisamment mature, ma famille n'avait plus besoin de moi, alors je suis allé m'installer à Carthagène, en Colombie. J'y suis resté quelques mois. C'est une ville somptueuse, elle me rappelle un peu chez moi. Depuis cet endroit, j'ai pu visiter une grande partie de l'Amérique Latine. Puis j'ai rencontré Matteo, mon ami italien dont je t'avais parlé, qui était en voyage en Colombie. Nous avons sympathisé, et il s'est finalement résolu à passer la fin de son séjour à Carthagène, avec moi pour lui servir de guide. Nous nous sommes tellement bien entendus que dix jours plus tard, je prenais l'avion avec lui et emménageais à Florence, en Italie. La suite, tu la connais. Au bout d'un an là-bas, j'ai décidé de rentrer, et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré Kelly.

— Comment ?

— Tout s'est passé si vite que tu ne me croirais pas. Le jour de mon retour d'Italie, j'avais une escale à New York avant de regagner La Nouvelle-Orléans pour voir ma famille. Il était tard, l'aéroport était quasiment vide. Seulement voilà, cette nuit-là, une demi-douzaine de Vampires avait prévu d'infiltrer un petit avion partant pour Washington et de s'attaquer aux passagers pendant le vol. Kelly faisait partie de l'équipe de Chasseurs censés éviter ce massacre. Et c'est au cours de sa mission que nous nous sommes rencontrés.

Je n'en reviens pas de l'histoire d'Aaron. Tout est toujours tellement surprenant venant de lui que sa rencontre avec sa fiancée de l'époque ne devrait même pas m'étonner, et pourtant...

— Mais alors, puisque tu as assisté à cette attaque, le Centre n'a pas essayé de t'enrôler ?

— Non, répond-il en secouant la tête. Kelly m'a croisé tandis que j'étais seul dans une section de l'aéroport. J'aurais pu être une cible facile pour les Vampires, alors elle m'a mis à couvert et m'a ordonné de rester caché jusqu'à ce qu'elle vienne me retrouver. Lorsqu'elle est revenue, j'avais plus ou moins compris ce qu'il se passait, mis à part que je pensais qu'elle faisait partie des forces spéciales, ou quelque chose comme ça. Je crois qu'elle n'aurait pas voulu que je vive la vie qu'elle vivait. Elle a donc dissimulé sa rencontre avec moi, et m'a laissé partir, après m'avoir donné rendez-vous quelque part à New York deux semaines plus tard. Nous nous sommes revus, et...

— Et vous vous êtes plu, je termine, imaginant sans mal la suite de l'histoire : leur relation à distance, assez forte pour qu'il en résulte des fiançailles, envers et contre la plus importante règle du Centre.

— Oui, acquiesce-t-il.

Pour la première fois, je ressens un léger malaise à l'évocation de son ex-fiancée. Comme il a répondu à toutes mes questions, je décide de lui épargner cet inconfort et de mettre un terme à notre conversation sur son passé. Sans un mot, je me blottis contre lui. Il enroule une mèche de mes cheveux autour de son doigt, et détaille mon cou.

— Toutes ces cicatrices..., soupire-t-il. Tu n'as pas mal ?

Je fais non de la tête.

— Plus maintenant. Je crois que je suis plus ou moins shootée aux médicaments.

Il hésite, avant d'oser poser sa question :

— Sont-ils la raison de ta fougue d'hier soir ? demande-t-il d'un ton taquin pour masquer le doute présent dans sa voix.

Je souris, avant de secouer la tête, et de l'embrasser langoureusement. Il se presse contre moi et m'embrasse en retour. Puis, je pose ma joue sur son torse.

Tout mon cœur est à vous, monsieur, je prononce dans un murmure après quelques instants. Il vous appartient ; et avec vous cela resterait si le destin exilait le reste de moi de votre présence pour toujours.

— Charlotte Brontë, souffle-t-il. Tu aimes la littérature anglaise ?

— Je l'adore. Qui ne l'aime pas ?

Il dépose un baiser sur le haut de mon crâne. Je reste encore blottie près de lui pendant un moment, avant de me dégager doucement.

— Où vas-tu ? me demande Aaron.

— J'ai des choses à faire, je réponds, éludant sa question, avant de changer d'avis. À vrai dire, j'aurais besoin de ton aide.

— Dis-moi.

J'hésite. Je n'ai mis personne au courant de mes projets, et il est exclu que quelqu'un découvre la vérité sur mon frère pour l'instant. Je dois parier sur le fait qu'il acceptera de m'aider sans poser de questions.

— Je voudrais vérifier quelque chose, à propos des dernières missions, à la section informative. Tu crois que tu pourrais m'y faire entrer ?

Il réfléchit quelques secondes avant d'acquiescer.

— C'est d'accord.

Il plonge ses yeux dans les miens, tentant de décrypter ce que j'ai en tête. Mais mon regard est impénétrable. Il me donne son badge, ainsi qu'un laissez-passer.

— Merci beaucoup. À tout à l'heure.

— Rentre quand tu veux. Je te rejoindrai après les entraînements.

Je l'embrasse avant de prendre congé.

Les ChasseursWhere stories live. Discover now